La question de l’amazighité du Maroc relève de grandes questions politiques auxquelles une réponse équitable et urgente doit être faite pour la construction d’une société équilibrée et moderne. L’amazighité, victime d’un véritable déni, continue à être occultée de tous ses droits légitimes. Le mouvement amazigh dont la première revendication a toujours été la reconnaissance de l’identité, de la culture et de la langue amazighes par la loi suprême, a toujours fait de la question de l’officialisation de la langue amazighe une priorité.
Cette revendication reprend de l’ampleur aujourd’hui parce qu’il est impératif et urgent que notre langue et notre culture soient protégées par la loi et que la langue amazighe accède enfin au statut qui lui revient de droit, langue officielle dans la constitution. En choisissant depuis l’indépendance, une politique d’exclusion, nos décideurs n’ont fait que perpétrer, la forme particulière d'ethnocide la plus répandue dans le monde, le linguicide, l'acte de tuer une langue. C’est le procédé politique le plus décisif, car visant à exterminer une langue, qui, comme l'on sait, est généralement l'indice le plus clair, le plus résistant et le plus fédérateur d'une communauté. En détruisant la langue d'une communauté, on élimine ce qu'il y a de plus perceptible et de plus vivant, et ce qui sera ensuite le plus difficile à réanimer ou reconstituer. Par conséquent, l’état veillera à faire en sorte que sa langue, et sa langue seule, l’arabe, soit celle de tous ses ressortissants. Il va aussi dans certains cas, promouvoir exagérément une langue voisine (darija) en lui réservant une large place. En décrétant officielle la langue arabe et pour que cette langue soit la seule à être pratiquée et comprise, il doit programmer l’élimination de l’Autre. Et la formule la plus efficace est celle de l’enseignement obligatoire de la langue de l'état pour tous,sa médiatisation à outrance et sa mainmise sur les services publics et privés. Un linguicide programmé et efficace qui donne des résultats incroyablement rapides d’une génération à l’autre. De la bilingue fragile (amazigho-arabe), on finit par forger une génération monolingue (arabisée) qui ignorera totalement la langue de ses parents et utilisera la langue de l’état pour tous les besoins usuels de la vie quotidienne. Dévalorisée, marginalisée, la langue autochtone (en l’occurrence l’amazighe) sera rejetée par ses locuteurs eux-mêmes qui revendiqueront quelquefois vigoureusement la langue de l’état. Et que les parents pour aider leurs enfants à s’intégrer au système, s’efforceront d’utiliser la langue de l’état à la maison. Le premier signe du recul d'une langue apparaît quand une population commence à ne plus utiliser sa langue pour la remplacer par une autre qu'elle estime plus rentable. Dévalorisée ainsi aux yeux des jeunes générations auxquelles elle ne peut plus donner accès au Monde, la langue Amazighe s'appauvrira de tout un vocabulaire non communiqué. Elle introduira de plus en plus le lexique de la langue arabe jusqu’à s'atrophier et dépérir. Son lexique se verra absorbé progressivement. L’état pour faciliter ce processus, censurera partiellement ou complètement la langue autochtone « pour le propre bien de la Nation » et pour préserver l’ « Unité ».
Simultanément à ce procédé, le linguicide psychologique, consiste essentiellement à convaincre par tous les moyens les locuteurs que la langue amazighe n’est pas digne du nom de langue; mais n’est qu’une myriade de patois archaïques (al lahajate), pour les amener à y renoncer et les encourager à n’utiliser que la seule langue digne de ce nom, la langue de l’état, l’Arabe. Pour détruire la langue amazighe dans la tête de ces locuteurs, on la dévalorise, on la marginalise et on diffuse un tas de clichés, d’images dépréciatives et négatives qu’ils se donneront· eux-mêmes. Exemples de propos recueillis : « L’Amazighe n’est pas une langue, ce sont des dialectes sans règle de grammaire ni conjugaison.». « C’est tout juste bon pour le folklore ».
Même si la langue amazighe demeure encore un certain temps la langue du foyer, même si elle sert de support à une littérature, la maintenir dans cet état de marginalisation et d’infériorité, c'est la condamner à coup sûr. Cette assimilation est plus rapide de nos jours, sans doute davantage à cause de l'accélération due aux prodigieux moyens de communication.
Ne détenant pas un quelconque pouvoir politique et ne disposant pas de statut officiel, la langue amazighe se place fatalement dans une position de survie. Même si elle occupe ce territoire depuis plusieurs siècles, elle assiste impuissante à sa propre liquidation en faveur de celle qui détient le pouvoir politique. Son avenir précaire demeure à la merci de ceux qui contrôlent le pouvoir politique, particulièrement lorsqu'il s'agit ici d'un État fort et peu disposé à partager son pouvoir.
Aujourd’hui, les épreuves du passé et du présent nous ont appris à nous méfier de tous les discours anesthésiants qu’on nous déroule. Une vigilance permanente face à un avenir incertain et fragile s’impose sans relâche. Les arabistes ennemis jurés de l’Amazighité, méprisants et ignorants tout de cette culture, au point de la croire «barbare», et de la nommer « Al-Maghrib al Arabi », portent en eux une amazighophobie qui a des racines historiques si profondes qu’ils peuvent se multiplier partout, et à tout instant. Beaucoup plus sournoises et subtiles qu’auparavant, leurs tentacules manoeuvrent en profondeur pour mettre en œuvre le « linguicide programmé » depuis leur arrivée au pouvoir. Cette politique d’assimilation est un phénomène global, qui est à la fois politique, économique, social et culturel. Sur le plan politique, le centralisme étatique trouve son affirmation dans la notion d’état-nation, un et indivisible. Sur le plan linguistique et culturel l’objectif terminal est de détruire l’identité amazighe, en falsifiant l’histoire de l’Afrique du nord, en éliminant ce qu’il y a de plus vulnérable et perceptible, notre langue amazighe.
La situation doit être une fois pour toute clarifiée et notre langue et notre culture protégée par des textes et par une loi suprême démocratique, la constitution. Il ne sert à rien de proclamer dans la constitution que la langue amazighe est une langue nationale, reconnue comme vecteur de communication sociale, comme prévoient de le faire quelques décideurs connus pour leur discrimination à l’égard de notre langue. La langue amazighe est déjà de fait nationale depuis des millénaires sur ce territoire. Par contre, le statut de langue officielle est censé la protéger contre toute tentative de minoration politique, juridique et social puisqu’elle devrait être, avec l’arabe, la langue par laquelle se réalise l’ensemble des activités publiques dans des cadres de type administratif, politique, culturel, social et éducatif clairement délimités. Devenant obligatoire dans l’enseignement et ayant une place honorable dans les médias, la langue amazighe officielle c’est la possibilité pour chaque citoyen de s’adresser aux institutions nationales et politiques dans la langue Amazighe, d’avoir le· droit de l’employer dans toutes relations avec les pouvoirs publics, à tout moment de la vie et dans tous les domaines. C’est aussi l’obligation faite aux pouvoirs publics de l’employer à tout moment. Et c’est seulement à ce prix là que pourra être assurée une coexistence pacifique dans l’avenir.
En conclusion, considérant comme indissociables les questions linguistiques, économiques et sociales, la lutte pour notre langue et notre culture amazighes est donc pour nous un combat politique de premier ordre contre ses pratiques transgressant les droits les plus élémentaires et toujours invariablement hostiles à la cause Amazighe. En condamnant vigoureusement cette politique d'exclusion et d’apartheid actuelle à l’encontre de l’Amazighité, nous affirmons par conséquent notre volonté de continuer notre combat jusqu'à l'aboutissement de nos revendications justes et légitimes avec comme slogan essentiel, pas de référendum sans la langue amazighe officielle dans une constitution démocratique.