Nombreux sont les travailleurs Imazighen (Chleuhs, Rifains, Kabyles, Mzabis et autres), qui vivant à l’étranger n’arrivent pas à communiquer entre eux, sans parler de ceux, qui, arabisés de longue date, ont perdu toute notion de leur langue et de leur amazighité. Tous ces ouvriers sont donc obligés de faire usage, tant bien que mal, d’une langue étrangère, que souvent ils maîtrisent mal, notamment la première génération, en voie de disparition.
C’est ce constat amer qui m’a incité à écrire cette lettre à l’intention des spécialistes de la langue amazighe et à tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent contribuer à son épanouissement. Je suis convaincu que d’autres Imazighen, ont le même souci et le même désir de faire renaître leur langue amazighe, pour quelle puisse devenir une langue de communication, de littérature et de sciences à tous les niveaux, qui n’a rien à envier aux langues qui l’ont toujours maintenue en second rang, sinon sous le joug de domination, pour les raisons évidentes que l’on connait. Mais pour que tous les locuteurs Imazighen se comprennent, il va falloir qu’ils acceptent un langage commun, quitte à l’inventer de toutes pièces et ce n’est pas Moh ou Kaddour, isolé dans leur bled ou dans leur montagne, qui pourraient y contribuer, mais cette tâche revient évidemment aux intellectuels et militants de la cause amazighe, à défaut de responsables et gouvernements qui tiennent à cœur le bien-être de leurs concitoyens amazighs.
A ce propos, oh combien est valable le proverbe français : « on n'est jamais si bien servi que par soi-même ». Mais c’est le proverbe ‘berbère’ qui est plus pertinent, car il est dit que « seul ton ongle pourrait te gratter la peau ». Il est bien évident que beaucoup de militants amazighs rejettent fermement l’idée d’une langue « commune » ou standard, compréhensible par tous les locuteurs amazighs à travers la Tamazgha et plaident pour la diversité et la non-standardisation, en somme le statu quo. Contre cet argument valable mais pas décisif, à mon avis, je ferais remarquer que la langue standard, ne porte aucun préjudice à la diversité, terme si cher au tenant du darwinisme. Au contraire, elle pourrait même l’enrichir, comme ce fut le cas pour d’autres langues européennes.
En outre, le langage étant considéré comme un phénomène social, parce qu’il reflète non seulement la vie intérieure de quelques uns, mais aussi celle de la communauté toute entière, on ne peut faire abstraction de cette diversité. Ainsi représente-t-elle une grande diversité, qui est conforme aux différences qui existent entre les différents milieux de locuteurs, qui composent une communauté de langues : différence de condition, degré de développement, âge, profession ou métier. La langue est aussi un phénomène régional. La différence dans l’expression dépend aussi de la région des différents locuteurs. A l’intérieur de chaque région ou aire linguistique, on rencontre des foyers locaux de langue plus restreintes, qui se différencient de ses voisins par la différence de prononciation, le choix de mots et construction de phrases. Tout cela est bien connu des spécialistes en la matière, pour avoir étudié depuis longtemps déjà, et parfois avec d’étonnants résultats.
Ce phénomène de diversité n’est que très évident à travers la Tamazgha, comme il l’est aussi dans les pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Italie, Espagne, etc.). A la différence de la Tamazgha, chez les peuples développés, au dessus de ces langues locales existent une langue standard « cultivée ». C’est une sorte de mètre étalon idéal, la seule référence ou matière utilisable qui permet aux écrivains, aux scientifique de communiquer entre eux et dans les publications scientifiques. En Tamazgha, nous nous en sommes pas encore là, mais rien n’interdit d’espérer, qu’un jour les nouvelles générations arriveront à faire de leur langue, une langue de civilisation.
Est-ce de l’utopie ? Bien sûr que non ! Pour la simple raison que les éléments qui permettent une nouvelle vie à la langue amazighe sont déjà mis en place et visibles à tout le monde. Nous en sommes conscients ! Et c’est déjà quelque chose ! Il convient aussi de rappeler que partout dans le monde, la tendance à l’uniformisation semble être un facteur dans l’évolution des langues, sauf chez nous Imazighen. Pourquoi sommes-nous l’exception qui conforme la règle ? De toute évidence, le niveau de développement, en d’autre terme, la nécessité ne s’est jamais fait sentir, pour évoluer vers une uniformisation généralisée.
L’évolution des langues modernes, telles que l’anglais, l’espagnol, le français, l’arabe, entre autres, a été bien étudiée. Les facteurs qui ont contribué à faire évoluer ces patois ou langues locales vers des langues mondiales ont été souvent d’ordre politique et de rapport de forces qui ont agi en leur faveur. Ce qui a toujours fait défaut à la langue amazighe, durant sa longue histoire, même pendant l’époque Almohade ou Almoravide. On ne saura peut-être jamais, pourquoi ces dynasties n’avaient pas eu ni la volonté ni l’intelligence d’imposer leur langue en une langue nationale, lui préférant la langue arabe, langue de liturgie et de culte. N’est-ce pas le « syndrome berbère », certains diront le talon d’Achilles berbère ! De nos jours, la langue amazighe ne peut nullement compter sur les pouvoirs mis en place pour la faire évoluer en une langue nationale, puisqu’ils n’ont que mépris et dédain pour elle. Elle ne peut compter que la force et l’espoir des militants amazighs, qui la tiennent en haute estime.
Ceci étant, nous devons, à mon humble avis, apprendre de l’expérience des autres peuples en la matière et analyser le processus du développement de leur(s) patois, dialecte(s) en une langue nationale. A cet égard, j’inviterai les intellectuels, linguistes et spécialistes de la langue amazighe à étudier l’exemple de la langue néerlandaise – dans ses deux versions hollandaise et flamande - pour en tirer des leçons, car elle enrichissante et édifiante à plus d’un titre. J’ai eu la chance et le privilège d’étudier cette langue, pour avoir vécu en Flandre, pendant plus de quarante-cinq années. Il va sans dire, que j’ai eu assez de temps pour méditer sur la relation de la langue néerlandaise (flamande) avec ses voisines (impérialistes), à savoir le français, au Sud, l’allemand à l’Est et l’anglo-saxon à l’Ouest, pour sa survie et son épanouissement en tant que langue vivante. Le combat que l’on appelle ici « question linguistique » a toujours été mené avec vigueur et rigueur, vif dans le pays et n’est pas prêt à disparaître dans un proche avenir. Aussi ai-je été un témoin privilégier non seulement de cette confrontation linguistique, mais aussi de l’évolution du flamand en une langue vivante qui n’a rien envié à la langue française. C’est une langue qui s’apprête mieux que les langues latines à exprimer les idées philosophiques, et qui par sa structure, arrive facilement à créer de nouveaux mots.
Pour la formation de mots, le français fait souvent appelle à l’une des langues mortes, le grec ou le latin, la langue néerlandaise n’en a pas besoin, mais peut aussi le faire, le cas échéant, sans aucun complexe et s’en sert pour exprimer des nuances, ce qui enrichit encore d’avantage son vocabulaire. Révolu est le temps, où l’on clamait que le flamand était la langue des « boers » ou paysans, et que dans les livres de géographie, que l’on nous enseignait au collège que « le français gagnait du terrain sur le français et tend à l’implanter ». Et comme conséquence de cette uniformisation, et c’est là le revers de la médaille, il faut bien le concéder, les dialectes régionaux sont en train de disparaître et remplacés par la langue dite « langue de culture » ou langue standard. Il est vrai aussi, qu’auparavant, en l’absence d’une langue uniforme, un Limbourgeois avait du mal comprendre ou ne comprend pas du tout un locuteur de la côte, pour les motifs ci-dessus énumérés. Le Français aura aussi du mal à comprendre le wallon ou le dialecte luxembourgeois, comme un napolitain aura du mal à comprendre un dialecte sicilien.
Pourtant la langue néerlandaise n’a pas évolué sans coup férir. Au contraire, le peuple flamand a du consentir d’énormes efforts et sacrifices pour arriver au résultat actuel. Eu égard à la langue, les philologues vous diront que cette langue appartient au groupe germanique. Sans entrer dans l’histoire détaillée de cette langue et de sa séparation de la langue germanique primitive, que les Allemands eux-mêmes regardaient avec dédain, la considérant comme dialecte ou « mauvais » allemand, on constatera que cela ne l’a empêché d’évoluer en une langue vivante, qui n’a rien à envier aux autres langues européennes. Et, à ce propos, je me contenterais d’en donner ci-après un aperçu succinct des phases de développement de la langue dans l’aire néerlandophone, c’est-à-dire les Pays-Bas avec leurs composantes Flamande et Hollandaise. Avant le 19eme siècle, il y avait très peu d’unité relative dans l’orthographe du NL. Au moyen-âge il n’y avait pas de règles fixes du NL. Les premiers écrivains étaient des gens du culte (clergé) qui pour coucher par écrit des textes dans la langue maternelle, utilisaient les caractères latins qu’ils maitrisaient, bien qu’ils fussent confrontés à des difficultés multiples. Toutefois, les copistes en faisaient usage, liant plusieurs signes, sans avoir pour autant un système unifié. Chacun utilisait une orthographe et écriture à sa manière propre.
- La renaissance apporta une certaine uniformité dans l’orthographe et au 16ème siècle, il y eut même quelques systèmes d’orthographe. Aux 17 ème et 18 ème siècles on faisait usage plus ou moins des mêmes systèmes inchangés ou bien on suivait l’exemple des écrivains ayant une certaine autorité. Ce n’est qu’au 19ème siècle que l’on s’orienta résolument et consciemment vers l’uniformité d’orthographe sous l’ingérence officielle. Ce fut en 1804, que le gouvernement néerlandais chargea Prof. Siegenbeek de mettre au point un système orthographique, qui fut généralement appliqué.
- En 1863 De Vries et te Winkel eurent l’idée de faire une liste de mots néerlandais dans un dictionnaire néerlandais. Ce fut le début d’uniformisation de l’orthographe aux Pays-Bas et en Belgique. Pourtant l’orthographe des deux savants présentait des difficultés dont on pouvait bien s’en passer et donc inutiles. Après une cinquantaine d’années de « luttes orthographiques », on décida en 1946 de simplifier officiellement l’orthographe. Et c’est en 1954 que fut publiée une nouvelle liste ou dictionnaire, composé sur ordre des gouvernements des deux pays.
Il va s’en dire que l’uniformisation de la langue ne peut connaître la même évolution ni le même processus, chaque langue ayant ses caractéristiques, puisque l’évolution et le développement des locuteurs des deux langues sont différents et ne peuvent être comparés. En résumé, pour s’exprimer, les imazighen doivent disposer d’une langue, qui est souple, fraiche, pour exprimer et refléter leurs pensées les plus profondes, dans toutes leurs subtilités. Comme règle et caractéristiques de la langue, il faut rechercher la simplicité comme l’espagnol et non le français ou l’anglais qui sont conservateurs. Humanité, bon sens et la bonne mesure dans toute chose, sont les normes, qui devraient régir leurs pensées et aspirations. C’est bien cela la tâche actuelle et le but de la lutte des militants amazighs, puisque c’est à eux qu’il incombe de défendre cette langue. Et ce n’est pas sur nos gouvernants actuels qu’il faut compter pour rétablir la langue amazighe dans ses droits. En conclusion, je citerai un écrivain néerlandophone qui a dit : « Le monde est une scène de théâtre, Chacun joue un rôle et reçoit sa part ».