Elle n’a jamais été à l’école, travaillant aux champs et au foyer et se préparant ainsi, comme tant d’autres fillettes, à un avenir d’épouse et de mère.
Sa propre mère étant morte alors qu’elle était encore très jeune, Tabaamrant vécut en orphelin, et c’est sans doute ce qui exacerba sa sensibilité poétique. Un de ses premiers poèmes, qu’elle a jalousement conservé, avait pour thème cette situation de l’orphelin vulnérable. Dans sa biographie, on reconnaît le schéma presque stéréotypé de toutes les chanteuses dans le domaine berbère, à savoir un amour immodéré pour les chants et la danse dès le plus jeune âge, un mariage précoce ou forcé qui tourne mal, puis la fréquentation des chanteurs itinérants. Voilà qui peut aboutir ou non à une consécration d’artiste, ce qui fut le cas de Fatima Talgwrsht, de Rkia Demsirya ou encore de Fatima Tihihit Mqqurn avant qu’elle n’abandonne le chant et ne retrouve la vie de femme au foyer !
Quant à Fatima Tabaamrant, une fois quitté son village natal, elle renoua avec son amour pour la parole chantée et avec la liberté en accompagnant comme choriste des rways tels que Jamaâ El Hamidi, Saïd Achtouk et Lhadj Mohamed Demsiri, ces deux derniers grands ténors de la chanson amazighe étant décédés en 1989.
Tabaamrant s’est révélée comme artiste poétesse au début des années 1990 lors de joutes poétique (Tandamt) qui l’opposaient au Rays Moulay Mohamed Bélfqih. Il s’agit d’un débat où sont confrontées les opinions de l’homme et de la femme sur un mode satirique, et qui reprend les termes du conflit opposant les deux sexes dans la société. Avec ces joutes, son statut de Rayssa se précisa et elle quitta le rôle de choriste pour tenter sa chance comme chanteuse professionnelle. Avec sa voix moins aiguë que celle des autres chanteuses amazighes mais une parole plus profonde, elle s’est rapidement imposée, relevant le défit de se faire accepter comme rayssa-poétesse, d’autant qu’elle est la première femme à avoir fondé et à présider sa propre troupe, ainsi qu’à chanter ses propres poèmes. Elle recrute elle-même ses instrumentistes, au lieu de dépendre d’un rays comme le veut la coutume.
En effet, en dépit de l’absence de sources anciennes, il n’apparaît pas invraisemblable de postuler que les rways du temps jadis étaient essentiellement des hommes. La vie itinérante que menaient ces artistes s’accommodait probablement mal de présence féminine, le rôle des femmes, pour le chant et la danse, étant tenu par de jeunes garçons à la voix hauts perchée ou par des hommes efféminés. Lorsque les femmes intégrèrent le monde des rways, ce fut donc tout naturellement pour y prendre une place secondaire, celle de choriste ou de danseuse. D’où l’originalité de l’avènement de Tabaamrant, qui fait date !
Rayssa Fatima Tabaamrant aborde dans ses chants et des thèmes variés mais centrés sur des questions d’ordre culturel, social et moral. Elle évoque peu les sujets sentimentaux, ou ceux qui sont « creux », selon elle, et traite plutôt de thème plus réfléchis et constructifs tels que la condition féminine, la revendication des droits culturels amazighes, la critique social et moral, etc.
Elle se veut engagée dans la continuation de la parole amazighe porteuse de sen « awal llma’ana », où la versification est un acte responsable et respectueux de la tradition. À l’instar des anciens rways, elle entend surtout représenter son époque et exprimer son opinion sur ce qui se passe, en mettant l’accent sur un idéal de société selon sa propre perception, qui reste malgré tout attachée à la tradition.
Elle a à son actif un ensemble de cassettes audio et vidéo appréciées aussi bien par les berbères du Sud marocain que par ceux du Centre, du Nord, voire par les berbères d’Algérie. Elle a tourné un film autobiographique intitulé « TIHIYA » dans lequel elle interprète le rôle de la chanteuse. Rayssa Fatima Tabaamrant a également participé à plusieurs rencontres culturelles organisées par des associations ainsi qu’à des tournées à travers toute l’Europe.