Dans les munitions analytiques que le rapport Montaigne nous rapporte sur la lutte contre le fondamentalisme, la musulmanie est une communauté, une entité confessionnelle (et non pas des individus rationnels) qui n’adhère pas ‘trop’ aux valeurs de la démocratie et qui écoute plus les Imams que les Profs.
Le deuxième trait de sa conjecture est de faire émerger donc de l’intérieur du « clergé » un leadership éclairé, une élite savante du ‘texte’, à même d’accompagner les jeunes dissidents dans les quartiers et exaltés par les réseaux, à visée de les convertir à un « islam modéré ».
Paradoxalement, et à l’heure où les jeunes issue de l’immigration (de la rive sud et nord de la méditerranée) sont entrain de remettre en cause la parole des imams, d’absorber la liberté d’expression, et de se repolitiser autrement par le bas et par l’engagement volontaire dans des « Hirak’s numériques », le rapport prône la solution à l’intérieure de l’islam, en recherchant la formation à la cohésion et au vivre ensemble par des accommodements communautaires et des aménagements des droits « différents » pour les jeunes musulmans. L’apprentissage de la langue arabe et le financement du clergé sont des garants essentiels de cette intelligibilité et du vivre ensemble harmonieux. Or, ce dispositif apporte-il sécurité et socialisation dite harmonieuse comme le prétend le rapport de l’institut Montaigne ?
Ce raisonnement dominant cache en réalité des problématiques plus politiques qui permettent de comprendre ces processus de radicalité, liée au manque de canaux de représentation populaire dans le champ politique local, et capable de politiser les colères au quotidien d’une jeunesse exaltée.
Il se situe justement dans le déni du réel, d’un contexte politique (droite/gauche) des années 90 qui s’apparentait toujours à de simples machines électorales, axées sur deux visées : une prétention de contrôler à moindre coût et un pari sur un accommodement communautaire, ciblé d’avantage sur des notabilités et des ’precheurs’ mafieux, que sur la participation citoyenne et l’ingénierie sociale. Les quartiers de Reynnerie à Toulouse, de Wazemmes à Lille ou de Molenbeeck sont signifiants.
La prise en charge du champ religieux par la communauté n’y changera rien. Car il ne sert pas l’autonomie et l’intelligence, mais diffuse le repli et crée un fonds de commerce dangereux.
La « majorité » n’est pas silencieuse. Elle refuse de se reconnaitre dans l’ordre religieux et encore moins dans le repli identitaire. Aujourd’hui, comme le rappelle Michel Peraldi, l’engagement des classes moyennes maghrébines (intégrées) à Marseille et à Toulouse est réel. Mais, le ciment commun entre les « clercs » et les « modérés » n’est pas l’islam, ni « l’entre nous ». Au contraire ces engagements défont les appartenances identitaires et contribuent à une « déprise identitaire » à un au-delà de l’identité et où ils tracent un chemin où les jeunes peuvent deployer leur accrochage multiples, loin de l’emprise de la mosquée
Le ressort de la mobilisation de cette « majorité silencieuse » relève moins d’un ordre extérieur que d’une certaine action dans la cité, une logique militante, ou de carrière qui s’oppose à la conformation identitaire des clercs.
La médiation recherchée auprès des « imams modérés » est une mascarade qui vise la dépolitisation des jeunes. Elle ne rencontre ni la culture, ni la langue et ni le refoulé de la jeunesse et encore moins leur intelligence qui se fabrique aux confins du quotidien et de l’ailleurs qui ne cesse de les hanter. Comment faire sortir des musulmans intégrés de leur silence ? Et comment politiser les colères du quotidien dans ces quartiers « d’exil » marqués par l’anomie, la désorganisation sociale; une certaine emprise de religieux mafieux, mais aussi une quête de l’ailleurs ?
Les quartiers d’Amérique Latine offre un terrain très fertile pour comprendre les ressorts de la mobilisation de ces intermédiaires dans les Favélas du Brésil ou les quartiers populaires en Colombie. Notre terrain et bien d’autres études montrent que mmême lorsqu’l s’agit d’initiatives très localistes, elles contribuent incontestablement à créer l’ouverture. Ces formes de sortie sont accentuées par la présence et l’action d’acteurs « extérieurs » au quartier. Ces intermédiaires, comme l’ensemble des militants tendent à importer des usages, des pratiques et des représentations qui tendent aussi à déconstruire le piège toujours menaçant de la refermeture identitaire. C’est à ce point qu’émerge la figure du passeur (Marie, 2013), qui tisse et rassemble le lien entre le dedans et le dehors.
En France les jeunes ne boudent pas la démocratie, mais ils cherchent désespérément un pilote qui pourrait politiser leur colères au quotidien. Le politique a délaissé ce terrain à des notables mafieux de la misère humaine. Or l’activité de médiation ne peut être délaissé au clerc car elle aura à occasionner une participation destructrice et paternaliste. Il faut passer de cette participation destructrice à une participation synergique et ouverte sur l’ailleurs (et qui est à moindre coût !). Il suffit de creuser un peu sur le terrain (à l’extérieure de la religion) pour comprendre que l’accueil de nos jeunes dans la république est la meilleure des luttes contre le fondamentalisme.
Ayad Zaroual