Alors que se préparait le Forum mondial des droits de l'Homme, le ministre de l'Intérieur a fait une très grave déclaration où il a affirmé que l'autorité ne saurait autoriser l'usage de salles publiques à des organismes qui s'opposent à la ligne officielle de l'Etat. Cette déclaration est intervenue suite à une série d'interdictions, quasi méthodiques et systématiques, faites à l'Association marocaine des droits de l'Homme, ainsi qu'après plusieurs entraves faites à des acteurs associatifs militant dans d'autres structures. Le ministre de l'Intérieur justifie cette campagne que l'on ne peut qualifier par un autre mot que répressive, et sans précédent, par le fait que ces militants dévoilent et révèlent au monde les abus du pouvoir au Sahara et dans les dossiers de terrorisme.
L'autorité souhaite donc avoir des droits de l'Homme au Maroc, mais à sa manière et à sa mesure ; elle accepte d'avoir des défenseurs des droits, mais à son goût, respectant ses humeurs et ne dépassant jamais le cadre du discours officiel. Las... Si dans les pays du monde, les militants des droits de l'Homme avaient fait autant de cas des désidératas de leurs pouvoirs, rien de concret n'aurait jamais été réalisé et rien de bon n'aurait jamais été possible ; les droits de l'Homme ne se seraient pas améliorés et le genre humain n'aurait pas effectué les pas de géants qu'il a accomplis.
Mais si ces agissements de l'autorité ne sont pas vraiment étonnants dans un pays comme le Maroc, ce qui reste en revanche stupéfiant est que ce même pouvoir cherche à se montrer sous un jour qui n'est pas le sien, à vendre une image qui ne reflète pas la réalité.
Le propos du ministre – qui essaie de se montrer comme s'il était le décideur, alors que ce n'est point le cas – confine à une logique fasciste, poursuivie en toute conscience et avec préméditation, mais dans un monde qui est passé, au prix d'énormes sacrifices, de la domination des autocraties/dictatures sur les deux tiers de la surface de la terre à un jaillissement démocratique partout et même ailleurs, quand les peuples ont exprimé leur soif de liberté et de dignité.
Mais ce qui est vraiment choquant dans les paroles du ministre est qu'elles reflètent une totale ignorance de sa part des voies illégales retenues par son département pour priver les militants de leurs droits. Cela empêche toute discussion sérieuse sur le concept de « l'Etat » et le terme « officiel » tant il est vrai que tout Etat est consubstantiel du droit et que tout ce qui est officiel se fonde sur le droit et la loi.
Ce qu'ignore aussi le ministre de l'Intérieur est que les salles publiques sont propriété de l'Etat et non de l'autorité, laquelle est au service de toutes les composantes de la société, à savoir les citoyens contribuables. Il n'est donc absolument pas négociable ni discutable que malgré des opinions différentes ou divergentes par rapport à celles des officiels, tout organisme doit avoir l'usage de ces lieux et espaces publics. Rappelons que l'opposition – institutionnelle ou non – est le fondement de l'existence même de l'Etat et de son activité, de la société et de sa puissance. Aussi, il devient évident que toute tentative de contenir l'opposition pour en faire un groupe affichant une saine unanimité autour de l'Etat ne pourra qu'échouer, car telle n'est pas la logique et la marche de la démocratie.
Le ministre a également affirmé à son auditoire, ainsi que l'ont rapporté les médias, que les interdictions ne frappent pas tout le monde mais une seule structure, en l'occurrence l'Association marocaine des droits de l'Homme. A supposer que cela soit exact – ce qui n'est pas le cas car d'autres organismes sont harcelés et bousculés – cela revient à dire que l'autorité aspire à isoler et à écarter une association déterminée et à normaliser sa traque quotidienne par les différents services, sachant pertinemment que ces agissements sont aussi illégaux que condamnés à tous points de vue.
Quant au ministre de la Communication, par ailleurs porte-parole du gouvernement, sa position ne peut susciter que de la compassion, pour lui-même et pour ce qu'il est obligé d'endurer chaque jour à sa fonction... et nous rappelons à cet homme que le gouvernement est tenu à une obligation de solidarité à l'égard de tous ses membres ou, au moins, d'observer une certaine pudeur par rapport à ce qu'il se passe et non de suggérer à ceux qui s'estiment lésés et réprimés de s'en aller ester devant les tribunaux.
Devons-nous vraiment rappeler que des militants défenseurs des droits ne sont en aucun cas des opposants politiques mais plutôt la conscience de l'Etat, des personnes qui doivent faire ce que ce même Etat craint précisément, à savoir révéler et dévoiler les défaillances, dépassements et autres abus commis ici et là, pour justement que cela ne se reproduise pas et que la dignité des Marocains soit préservée et plus même, si possible ? Et quand nous disons défaillances, dépassements et autres abus, nous parlons aussi bien du Sahara que de n'importe quelle autre région au Maroc, du terrorisme et de tout autre dossier. Il appartient à un Etat, s'il est vraiment sage, d'accepter le rôle et les critiques des militants car ils sont le fondement de la stabilité, elle-même basée sur la justice et l'équité.
Quant aux citoyens qui s'investissent dans la défense de l'autorité, contre leurs semblables croulant sous les injustices, en vue d'obtenir de menus et ponctuels avantages, ils devraient savoir que ce faisant, ce sont leurs propres libertés qu'ils contribuent à entraver.
Aujourd'hui, au Maroc, nous sommes en train de fabriquer un nouveau concept de « nationalisme », à travers un endiguement du débat public et de l'action militante pour les droits ; l'objectif est devenu de pousser tout le monde à se ranger, plus ou moins autoritairement, sous la bannière d'un « consensus » autour de l'autorité, dans quelque affaire que ce soit, alors même que l'autorité refuse tout compromis et toute concession quant à ses agissements.
« L'amour de la nation » ne signifie pas du tout applaudir l'autorité et la soutenir dans tout ce qu'elle fait, jusques-y compris quand elle porte atteinte à la société par ses erreurs et ses errements. Non... aimer son pays consiste à dénoncer haut et fort chaque abus, et il appartient aux responsables de ce pays de prendre garde, eux, à l'image extérieure du pays car ils sont les seuls à l'écorner à l'intérieur.
*Le vrai titre : En marge du Forum mondial des droits de l'Homme, « le nationalisme » ne signifie pas applaudir l'autorité
Par Ahmed Aassid