Plus je m'éloigne de ces montagnes où j'ai vu le jour, comme plein d'autres enfants de nomades et de populations emprisonnées dans le silence étouffant de ces contrées que même le ciel semble oublier, plus l'appel de mes racines et le cri de ces voix qui semblent ne pas trouver d'entendeur, ou quand on finit par les entendre on les enterre juste après. Cet appel devient encore plus fort et plus douloureux avec chaque jour qui passe.
Il y a deux ans, j'étais traumatisé suite à l'annonce du décès du regretté Nba, le leader charismatique du groupe Saghru Bande. Sa mort était pour moi le déclencheur de l'étincelle qu'il me fallait pour pouvoir écrire et publier à mon modeste niveau. Faire ce que je pouvais pour parler des souffrances et des injustices qui rangent le quotidien de mon peuple désabusé et de sa terre maltraitée par le tout passant.
Le groupe Saghru band, avec le peu de moyens dont il disposait –et c'est toujours le cas-, avait su mettre un visage sur les blessures qui rangent l'existence de nos collines endeuillées par tant d'années du délaissement et d'exploitation sauvage. Saghru band a su parler de tous les MOHA qui meurent dans le silence complice de nos dirigeants, aussi bien locaux que ceux de cette capitale qu'on ne connait que de nom. Saghru a également su parler de l'amour et la fierté de ce peuple digne, dont la chaleur de l'accueil et la dignité ont été exploitées par les marchands de chimères qui ont rendu ces gens esclaves au milieu de leur terre. Saghru a tout simplement su parler en notre nom, a su dire ce que toute autre personne n'osait dire. Saghru a su nous donner espoir en la vie, celle que nous avons tétés des seins de nos mères et que nous avons mangés de ses arbres témoins du courage de nos ancêtres qui avaient domptés ces collines. Cette terre que nous avons ensuite laissés entre les mains de ces vautours venus de nulle part pour la vider de ses richesses et de maltraitée son âme.
La semaine dernière, a connu la tenue du festival des roses (ou des épines je ne sais plus) dans ma vallée natale, Kelaa M'gouna au sud-est marocain. A vrai dire, je ne me serais jamais retardé d'écrire sur ce festival, avec les raisons que je garde pour moi. Ça fait déjà de longues années que j'ai tourné la page de ce genre d'évènements qui me rappellent plus l'ampleur de l'abime que nous avons atteint, plutôt qu'autre chose. D'autres personnes y trouveraient un signe de développement et de l'avancement de la région, et chacun y va avec ses propres arguments.
La raison qui me pousse à écrire sur ce festival relève d'un coup de colère qui confirme mes positions antérieures, et qui ne risquent pas de changer de ci-tôt. En effet, la soirée musicale qui clôturait ce festival avait connu un évènement digne des années du plomb (qui n'ont pas disparus à juste titre), quand le groupe Saghru Band se trouvait raillé de la liste des groupes participants à la dernière minute. La preuve, s'il en faut une, c'est que les membres du groupe étaient présents et s'apprêtaient même à monter sur scène (d'après le témoignage vidéo de l'animateur de la soirée) avant qu'on leur dise que la soirée touche à sa fin sans aucune autre explication crédible.
Vous me direz que rien ne mérite tout ce bruit, d'autres vont me dire qu'on s'en fout et d'autres me diront qu'il y'avaient beaucoup d'ivrognes (l'excuse historique pour décrédibiliser qui on veut dans notre société). Tout à votre honneur, me concernant je dirais que le fait d'assister à ce genre de bavure ne fait que confirmer que rien n'a changé chez nous. Vous aurez beau me parler de la liberté d'expression, la démocratie, le nouvel air ou je ne sais pas quel autre connerie du genre. Moi, je vous parlerais du fait que personne n'a envie de voir l'ampleur de la tragédie que cette terre est en train de vivre dans sa chaire, que nos MOHA sont encore condamnés à vivre dans l'ombre de leurs vies et se contentent du ciel comme couverture et du froid comme compagnonde misère. Saghru Band a été empêchée (en dépit de toutes les excuses qu'on peut nous servir) parce qu'elle risquait de réveiller ces MOHA, leur dire qu'une autre façon de vivre est possible, qu'on peut se donner le courage de s'aventurer dans l'inconnu de la liberté et pouvoir embrasser la chaleur du soleil. Ouvrir les yeux sur notre monde, prendre conscience que nous avons passés trop de temps à baisser la tête et à attendre la mort qu'elle vient récolter nos âmes, où ce qu'elles en restent. Saghru band a été empêchée de monter sur scène, car l'ombre de Nba plane encore sur les esprits. Ils croyaient l'avoir enterré, mais ils se sont rendus compte qu'en enterrant le corps ils ont rendu la légende éternelle. Nba et Saghru band, avec le peu de moyen qu'ils avaient et les énormes difficultés qu'ils confrontaient au jour le jour, ont su nous donner un peu de lumière pour réchauffer nos corps, nous faire comprendre qu'on ne mérite pas la liberté et la dignité en passant nos jours à dormir et à espérer le néant. Saghru band avait fait le premier pas - le plus dur- pour nous réveiller de ce long sommeil qui a trop duré et pour nous dire qu'il était temps qu'on mérite de vivre sur cette terre, qu'on lui rendent son sourire qu'elle a perdu depuis bien trop longtemps pour qu'on puisse s'en souvenir.
J'ai écrit ces quelques mots venant du fond de mon âme, car le souvenir de Nba et la noblesse de son message, sans oublier ses compagnons de routes dans le groupe, nous obligent à leur rendre hommage et à leur dire que quoi qu'on fasse pour les faire taire ou pour les oublier, nous serons toujours ces MOHA éternels. Mais cette fois-ci plus éveillés et plus conscients qu'aujourd'hui, plus que jamais, notre cause a besoin de chacun de nous. Que chacun puisse avoir la dignité et le courage nécessaires pour regarder cette terre - la nôtre - dans les yeux et lui demander pardon du mal que notre silence lui avait causé.
Merci à Nba et à Saghru band de m'avoir ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Et surtout de m'avoir donné le courage de dire ce que j'ai à dire. Merci à vous chers compagnons de combats. Cette événement nous fait comprendre que le chemin est encore long et aujourd'hui, plus que jamais, nous devons rendre sa dignité à cette terre qui nous a enfantés. A vrai dire, temps que des âmes libres comme les vôtres continuent à bourgeonner dans la solitude de nos collines, je me dis que la vie a encore raison d'être dans ces montagnes...
Hassan Oumada