Loin des sentiers battus, Brahim Lasri trace son chemin à travers la littérature d’expression amazighe. Il représente une spécificité dans la thématique, dans le langage et le lexique, dans l’espace et dans le temps. Les moralisateurs en auront pour leurs frais. Le franc-parler est crument réaliste comme l’histoire. Ce qui peut en choquer plus d’un. Quand on lui pose la question sur le pourquoi de cette acharnement sur la langue et les mots, il répond que ce n’est pas à lui d’inventer la langue, ni les mots de ses personnages. Ils parlent comme le contexte le leurs impose. La taverne et le bordel ne sont pas un lieu de raffinement linguistique, ni de douceur de mœurs.
Brahim Lasri, n’hésite pas à mettre les mains, sans gants, dans les souillures et les sentiers ténébreux du monde de la nuit, de la déchéance et la versatilité économique et sociale. Ses personnages sont des hommes, des femmes déchirés par la réalité de leur vie, toujours à la recherche de repaires identitaires ou en train de les fuir.
Le nouveau né de Brahim Laasri « Ismdal n tmagit » raconte l’histoire de Samuel, enfant rescapé du séisme de 1960 qui à ravagé la ville Agadir. De sa famille n’a survécu qu’une cousine et un oncle paternel. Elevé par un couple suisse qui l’a recueilli, il décide, à sa majorité, de retourner chercher les siens. Un parcours chaotique qui le mènera à faire des études de géologie, pour justement comprendre la terre et ses caprices. Il apprend aussi l’arabe classique à la fac, pensant que c’était la langue des siens.Arrivé à Agadir, beaucoup de ses illusions vont vite se dissiper en découvrant la ville et ses gens, tant sublimés par ses parents adoptifs et par lui-même. Dans sa quête du restant de sa famille, il nous brosse un portrait de la société marocaine, celle du paradoxe entre l’être et le paraitre, celle du déchirement entre l’hypocrisie du conservatisme religieux et les impératifs de la vie moderne. Il décrit la vie des prostituées et la vie nocturne.
Sur le roman plane le spectre de Mohamed Khair-Eddine et de son œuvre, cité dans l’avant dernier chapitre. Si l’auteur de « Ijawan n Tayri » revendique une autonomie et un style bien à lui, on retrouve néanmoins beaucoup de thématiques fondamentales de la littérature amazighe. La nostalgie et le rêve de tout expatrié de retrouver sa terre natale comme il l’a toujours mythifiée et la fuite vers la montagne, seule refuge face à la modernité abâtardissante et corrompue. Après de multiples pérégrinations, Samuel devenu Mohamed, son prénom de naissance, décide de toute abandonner, y compris sa cousine convertie à l’islam wahabite, sous l’influence de sa copine, ex-prostituée, marié à un riche saoudien. Il s’en va dans le village natal de ses parents, reprendre le flambeau de ses ancêtres fidèles à la sacralité de la terre.
« Kullu mad ittmussun, ar ittngiri d wakal tzdart ad t tzznzt, inna izdin d wakal ngh imghi yut s izuran ar allagh n wakal, hann rad k tut tagat ight tzznzit » disait l’oncle dans son testament à Mohamed.
Tout ce qui bouge et se sépare de la terre peut être vendu. Tout ce qui a les racines bien enfoncées dans le sol, ainsi que le sol lui-même ne sont pas monnayables.
Ouchetaine Mohamed