Il va sans dire que l'octroi à la langue amazighe du statut de langue officielle dans la nouvelle Constitution marocaine est un acquis et une avancée importante au regard d'énormes sacrifices consentis par des générations de militants de la cause amazighe au Maroc et leurs alliés au sein des organisations civiles et politiques nationales. Mais un an après, les choses n'ont pas beaucoup changé dans la réalité, à part quelques pancartes en amazighe ici et là sur le devant de certains ministères...
On fonctionne comme si le fait d'inscrire l'amazighe officielle au côté de l'arabe dans la constitution ne change pas son statut et ne doit pas modifier sa fonction. On s'empresse de faire taire celles ou ceux qui veulent parler en amazighe au parlement, on continue d'interdire des prénoms amazighes, d'utiliser le terme « Maghreb arabe » dans les discours et dans les mass médias, de marginaliser cette langue dans tous les domaines. L'officialisation de la langue amazighe n'a pas fait l'objet d'une réelle campagne de sensibilisation à l'échelon national par les médias et les partis politique afin que tout citoyen marocain s'approprie cette nouvelle donne, dans le but de mieux expliquer le nouveau statut de cette langue et pour une véritable cohésion sociale. Il n'y a qu'à lire la presse ou écouter les radios nationales pour se rendre compte que certains continuent de parler de langue « facultative » ou « régionale ». Que cette langue appartienne à tous les marocains sans exception n'a malheureusement pas encore été bien assimilé. Son statut de langue officielle dans la constitution, est censé la protéger contre toute tentative de minoration politique, juridique et sociale. C'est aussi l'obligation faite à l'état de l'employer dans tous les domaines publics notamment l'éducation.
Selon les experts de l'UNESCO, un des facteurs les plus cruciaux pour la vitalité d'une langue, c'est son enseignement dans les règles. Mais, en Septembre 2012, presque une décennie après l'intégration de la langue amazighe dans le système éducatif, la réalité s'avère amère. Bilan plutôt négatif, voire catastrophique sur le terrain. Depuis le début, aucun suivi sérieux ne s'est fait pour accompagner l'intégration de l'Amazighe dans le système éducatif. Le traitement de ce dossier ira de la négligence au mépris total. Bricolage, discontinuité, fragilité, l'enseignement de la langue amazighe se fera avec une approche "artisanale", aucune planification, aucun suivi, des classes de tamazight ouvrent, d'autres ferment ou n'ouvriront pas. Les manuels scolaires amazighes, les guides de l'enseignant et autres supports didactiques, bien qu'étant des outils indispensables, resteront non disponibles sur le marché. A l'université, ce seront des enseignants chercheurs, affiliés à d'autres départements de français ou d'arabe et en quantité insuffisante, qui assureront des modules dans des filières d'études amazighes, en plus des cours qu'ils assurent dans leur département d'attache, d'où la fragilité de cet enseignement. Quant au ministère de l'éducation, responsable de ce dossier, il se devait d'élaborer un plan prévisionnel pour la généralisation progressive horizontale et verticale, de faire le suivi sur le terrain et de veiller à la distribution des manuels scolaires amazighes sur tout le territoire. Mais, la langue amazighe n'ayant aucun statut clair avant la Constitution de juillet 2011, il n'est donc pas surprenant que ce dossier ait été traité peu sérieusement avant cette date et que de nombreux handicaps ont entravé et entravent encore le processus de généralisation de la langue amazighe dans le système éducatif.
Incontestablement, avec la création de l'Institut Royal de la Culture Amazighe, des acquis considérables ont été enregistrés depuis 2003. Sur le plan de l'aménagement de la langue : la normalisation de la graphie tifinaghe, l'aménagement de la langue amazighe ainsi que l'élaboration de lexiques et de grammaire. Sur le plan didactique et pédagogique, confection de curricula et de matériels didactiques, manuels scolaires, guides de l'enseignant du primaire, dispositifs de formation du primaire et du collège, CD multimédias, BD, contes, imagiers, comptines, cahiers d'écriture ont vu le jour en un temps record. Le paradoxe est que l'IRCAM devait accomplir son travail dans un cadre « aconstitutionnel », c'est-à-dire en dehors de tout statut, pour une langue qu'il était chargé de promouvoir, jusqu'en Juillet 2011, date de son officialisation.
Aujourd'hui, Tamazight ayant un statut officiel, il est du devoir des responsables du Ministère de l'éducation de la traiter comme telle et de remédier d'urgence aux énormes lacunes : par un plan prévisionnel réfléchi assurant la généralisation de la langue amazighe au niveau horizontale et verticale, par le recrutement et la formation les cadres pédagogiques (enseignants, inspecteurs, formateurs) en lui consacrant un budget digne d'une langue officielle ; par l'intégration de la langue amazighe au même titre que les autres langues dans les Centres Régionaux de Métiers d'Education et de Formation (CRMEF) pour le niveau primaire, collège et lycée, par un horaire approprié à une langue officielle dans l'ensemble des cycles et une évaluation systématique, par la création de départements de langue et culture amazighes au même titre que les autres langues en débloquant des postes budgétaires à cet effet.
Si après plusieurs années de son intégration, la langue amazighe n'est enseignée qu'à environ 15 % des élèves du primaire, il est incontestable que la formule la plus adéquate pour une généralisation assurée, serait de désigner officiellement des enseignants spécialisés de la langue amazighe dans les écoles primaires, collèges et lycées ainsi que dans les CRMEF. Cela éviterait ainsi la discontinuité et la perte de ressources humaines.
Dans le supérieur, des milliers d'étudiants sont inscrits dans les filières d'études amazighes d'Agadir, Fès, Oujda, Tétouan et Rabat et beaucoup d'entre eux viennent grossir le nombre de diplômés chômeurs en sit in devant le parlement. Contrairement aux dires paradoxaux des précédents responsables, il n'y a donc pas de manque de cadres formés en amazighe, ces nombreux diplômés sont tout désignés pour contribuer à la généralisation effective de l'enseignement de la langue amazighe dans tous les cycles du système éducatif.
Article de Meryam Demnati dans Al Bayane du 24 Septembre 2012