Les 20, 21 et 22 janvier 2012, Ahmed Assid, membre de l’Observatoire Amazigh des Droits et Libertés, est invité par les associations amazighes et le mouvement du 20 février, pour participer, au côté d’autres intervenants, à une série de conférence à Lille et à Paris. C’était l’occasion pour évaluer un an de lutte du mouvement du 20 février qui célèbre son premier anniversaire et voir ses perspectives après l’arrivée des Islamistes du PJD au gouvernement marocain et suite à la réforme constitutionnelle du 1er juillet 2011 et aux élections anticipées du 25 novembre de la même année. La place des Amazighs dans les dernières révolutions qui ont secoué l’Afrique du Nord, la laïcité, l’avenir du gouvernement de Ben Kiran et le rôle de la diaspora amazighe sont des sujets abordés lors des quatre rencontres.
Organisée par l’association Tiwizi 59, la première conférence a eu lieu le 20 janvier à la Maison Folie de Waazeem (Lille), avec la participation, au côté d’Ahmed Assid, de Tassadit Yacine (EHESS), de Moussa Harim (Libye) et de Stéphane Arrami. Lors de cette conférence, le public présent a eu l’opportunité de remettre en cause l’expression du « Printemps arabe » qui occulte le rôle des non arabes dans les révolutions de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Dans son analyse, l’approche historique et anthropologique de Tassadit Yacine a permis la compréhension du malaise identitaire dont souffrent les peuples de l’Afrique du Nord. En prenant le cas de l’Algérie, les choix idéologiques et politiques des Etat-nations indépendants, hérités de la période coloniale, allaient à l’opposé du respect de la diversité qui caractérise les sociétés nord africaines. Cette diversité est même considérée comme atteinte à l’unité nationale. Dans ce sens, la volonté politique et idéologique pour homogénéiser ces sociétés sous la seule identité arabo-musulmane a provoqué l’émergence de la revendication amazighe qui traverse, avec des degrés différents, tous les pays de l’Afrique du Nord, jusqu’au « révoltes » de 2011 où le rôle des Amazighs, notamment dans la chute de Kadhafi n’a pas besoin de preuve. Cette introduction générale a permis aux autres intervenants de mettre l’accent sur l’expérience de chaque pays. Ahmed Assid a retracé l’évolution de la revendication amazighe au Maroc notamment après l’émergence du mouvement du 20 février qui a transformé cette revendication d’une préoccupation associative à une revendication de la rue marocaine. En conséquent, sous la pression de la rue et le soutien d’une grande partie, des partis politiques, des syndicats et de la sociétés civile, tamazight est reconnue comme langue officielle au Maroc et le gouvernement actuel s’engage à élaborer les lois organiques nécessaires à la mise en application de son officialité. De son côté, Moussa Harim a exposé le cas libyen. La chute de Kadhafi a permis l’épanouissement de la culture amazighe, réprimée pendant 42 ans de dictature du tyran de Tripoli. Aujourd’hui, les Amazighs de ce pays revendiquent que la langue amazighe soit reconnue comme langue officielle au côté de l’arabe. La situation en Tunisie est un peu particulière, vu le statut très minoritaire des amazighophone. C’est le sujet de l’intervention de Stéphane Arrami. D’origine kabyle, il a passé une grande partie de son enfance et le début de son adolescence en Tunisie. Il est donc très sensible à l’amazighité de ce pays, largement exploitée à des fins touristiques sans aucune volonté étatique de la reconnaître comme composante essentielle de l’identité tunisienne.
Avant la soirée amazighe du 21 janvier, organisée par Tiwizi 59 pour célébrer le nouvel an amazigh (2962), Ahmed Assid fut invité par le mouvement du 20 février de Lille pour animer une conférence à l’Université Lille 1. Majoritairement étudiants, le public présent se questionnait sur l’avenir du mouvement du 20 février et l’impact des dernières évolutions au Maroc. Ahmed Assid avance que la valeur du mouvement du 20 février n’est pas dans le nombre de personnes qui se sont mobilisées dans les rues mais dans le nouveau climat qu’il a réussi à imposer. Il a le mérite de casser la peur, enracinée au fond des Marocains. Aujourd’hui, ils osent parler librement de tous les sujets restés jusqu’à dernièrement tabous : la monarchie, la religion, la laïcité…Malgré le retrait de Al Adl wa Al Ihsan, qui a comme objectif le renforcement du Makhzen, en affaiblissant la rue, pour mener à l’échec le gouvernement du PJD, le mouvement du 20 février sera encore plus fort à cause des échecs qui attendent Ben Kiran qui ne détient pas les vrais pouvoirs. La pérennité du système makhzen bloque toute tentative d’avancement vers la démocratie. A la fin de cette conférence, une délégation du mouvement amazigh de Bruxelles s’est entretenue avec Ahmed Assid autour de l’actualité politique au Maroc et la place de la revendication amazighe.
Les mêmes questions précédentes sont aussi posées à Paris lors de la conférence organisée le 22 janvier par le mouvement du 20 février (Île de France) à Clichy. La particularité de cette conférence est la convergence des analyses académiques présentées par René Gallissot et Didier Le Saout de Paris VIII, avec la dimension militante de la communication de Ahmed Assid. Les trois intervenants sont tous d’accord de l’injustice de l’appellation « Printemps arabe ». Cette dernière doit être remplacée par une autre plus démocratique respectant la diversité des peuples qui ont contribué à ces révoltes. De même, comme l’a bien expliqué René Gallissot et Ahmed Assid, la jeunesse de l’Afrique du Nord n’auront aucun espoir dans le changement tant qu’ils ne dépassent pas les idées nationalistes traditionnelles et poser les problèmes au sein d’un espace plus large « l’Afrique du Nord ». Dans son analyse de l’expérience du mouvement du 20 février, Didier Le Saout l’a bien situé dans la poursuite de ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte avec des particularités du cas marocain. Il ajoute que les points forts de ce mouvement sont aussi ses points faibles et seul l’avenir nous montrera s’il pourra continuer dans le temps ou non.