Malgré ses centaines de milliers de cassettes vendues, Fatima Tabaâmrant a su rester modeste. Charismatique sur scène, on découvre une tout autre femme lorsqu'elle explique ses “nouveaux choix politiques”. Sur ce terrain-là, elle préfère rester prudente et s'exprimer à demi mots, nous laissant sur notre faim. Sa voix vibre lorsqu'elle évoque son passé et cette culture amazighe qu'elle ne cesse de défendre via sa musique.
C'est en fréquentant l'intelligentsia amazighe que ses chansons populaires du Souss deviennent plus politiques. Pour elle, participer aux prochaines élections est un devoir. “Le roi a appelé au renouvellement des élites, il faut que les anciens partent”, dit-elle. C'est visiblement ce qu'il l'a convaincue d'être seconde de la liste nationale des femmes du RNI. La Baâmrania défendra d'abord la place de l'amazighité dans la société pour “éviter les erreurs du passé à l'encontre de cette culture”. Décidément, sa culture, elle la porte jusqu'au bout de ses trois doigts, qu'elle exhibe en signe de la victoire de la cause amazighe.
Mohamed Ben Mbarek
Fatna Bent Lahcen
JB6344
Je n'ai pas marché avec le M20 mais j'adhère à beaucoup de ses revendications et principes. Je considère ces jeunes comme mes amis.
Les gens d'Aït Baâmrane aiment leur pays. Ils aiment la liberté et ont beaucoup donné, même de leur sang, à ce peuple. Ces dernières décennies, ils n'ont pas arrêté de lutter pour leurs droits et pour faire cesser l'embargo imposé à la région.
Je pense que les choses sont en train de changer. On accorde plus d'attention aux gens de la région dans les politiques publiques, leur histoire est racontée de plus en plus fidèlement, leur culture commence à être diffusée. Et puis, il y a aussi la constitutionnalisation de la langue amazighe et ses retombées institutionnelles sur les Amazighs marocains.
Non, mais j'ai écrit un poème pour mes amis de Sidi Ifni auxquels j'ai rendu visite après les évènements. Je suis de tout cœur avec les gens de la région pour tout ce qu'ils ont subi. Tout le monde sait ce qui s'est passé. C'est un événement tragique qu'on ne doit jamais oublier et, surtout, tout faire pour qu'il ne se reproduise plus.
Je chante depuis 1983. Dans mon répertoire, je puisais surtout dans le chant traditionnel. Depuis cette période, je n'ai cessé de me documenter sur l'histoire de l'Afrique du Nord et des Amazighs. Je suis une autodidacte, j'ai cherché les vieilles pratiques et les modes de vie des gens et j'ai décidé de chanter ce genre de thèmes. Le chant est une bonne méthode pour relayer toute une culture d'une génération à une autre. Sinon, mon engagement dans la cause amazighe est un étendard que je porte depuis 1991 quand j'ai rencontré le mouvement culturel amazigh et les intellectuels de passage en ville.
Beaucoup de courants politiques s'exprimaient sur le sujet, même si la marge de liberté n'était pas la même qu'aujourd'hui. C'était à la fois passionnant et dangereux de militer ce temps-là.
Des pressions, non. Ce qui m'arrivait n'était pas aussi important que les exactions de l'époque. Mais presque tous les acteurs du monde amazigh ont subi l'embargo. Je me rappelle qu'il était très difficile de trouver une maison de production pour enregistrer mes chansons écrites en amazigh.
J'ai été obligée de créer ma propre société de production. Et puis, circonstance aggravante, je ne chantais pas n'importe quoi. Dans une de mes vieilles chansons, je me suis adressée aux Amazighs résidants à l'étranger leur rappelant notre culture et les invitant à la préserver. J'ai aussi fait beaucoup de chansons pour les jeunes générations.
J'enregistre mes poèmes sur des cassettes et, ensuite, je les retranscris en tifinagh.
A quoi bon ? ça ne servait à rien. C'était vide de sens et ceux qui allaient aux élections ne le faisaient pas pour tenir leurs promesses ou servir l'intérêt général. Et puis, jusque-là, la politique au Maroc n'était pas cet espace d'idées qui permet de progresser. Vous connaissez la musique : c'était même un business pour certains.
L'histoire l'a démontré, les élites politiques oubliaient leurs promesses sur le chemin du parlement. Et puis, elles n'avaient aucun rôle. C'était une grotesque mise en scène.
Les choses ont changé. Il n'y a qu'à voir tous les chantiers enclenchés dans ce pays : constitutionnalisation de nombres d'acquis démocratiques, conseils des droits de l'homme... Tout ça a été fait grâce au roi, qui a engagé une nouvelle ère. Les conditions ne sont plus les mêmes et il faut s'engager pour participer au changement.
Je ne souhaite pas m'exprimer là-dessus pour le moment.
La bataille constitutionnelle n'a été qu'un début. Il faut voir ses déclinaisons sur la vie quotidienne des Marocains. On a déjà comme acquis un espace audiovisuel amazigh, mais il faut mettre à niveau l'enseignement, mettre en place une politique culturelle défendant et encourageant la diversité. Il y a beaucoup à faire. Dépoussiérer l'histoire de notre grande région, en voilà un chantier qui me tient à cœur.
C'est là où je ne suis pas d'accord avec les jeunes du Mouvement. Pour ma part, je ne conçois pas que l'on puisse être constructif en laissant la chaise vide. La protestation est importante, mais elle ne suffit pas, il faut aussi savoir dialoguer. Et puis c'est vraiment dommage, le M20 a beaucoup d'idées, il aurait pu contribuer à bâtir un Maroc meilleur.
Je n'en sais rien pour l'instant. Le ministère de la Culture doit enclencher les grands chantiers qui manquent au Maroc, notamment à l'adresse de la jeune génération. Il y a beaucoup de travail à faire et qui que soit le prochain ministre de la Culture, je lui souhaite bonne chance.
Ma vocation première est l'art, j'en vis et j'en respire. Je m'exprimerai toujours à travers mes chansons quelle que soit ma fonction politique. Ce n'est pas contradictoire !
Je ne sais pas encore, mais c'est un excellent moyen pour faire campagne.
Pas pour la campagne, mais je viens de finir mon tout dernier album. Il évoque moins les questions sociales, j'y parle plus de nos liens avec les autres peuples de la région d'Afrique du Nord et je rappelle notre histoire commune.
1962. Naissance à Bougafer dans la région d'Aït Baâmrane.
1983. Débute sa carrière musicale.
1991. Création de son groupe de musique
1994. Se produit à l'Opéra Garnier à Paris
2005. Reçoit le prix de la meilleure chanson amazighe de l'année.
2011. Se présente aux élections législatives avec le RNI.
Omar Radi | Source : telquel-online.com