De son vrai nom Chahou Fatima, née en 1962, dans l’ifran de l’anti Atlas, province de Guelmim, la porte du Sahara. C’est qu’elle a encore ses attaches administratives. Mais pour sa vie d’artiste, elle s’est établie comme la plupart des trouveurs chleuhs à Dcheïra. Comme son nom d’artiste, elle est originaire des Aït Baâmran. Elle a intégré le domaine de la chanson berbère en 1983, soit déjà une trentaine d’années.
Avant d’être chanteuse, je suis d’abord une poétesse. Ma première qasida « qu’est ce qu’il t’arrive pour pleurer ainsi ? » évoquait ma situation d’orpheline : j’ai perdu en très bas âge. C’est la principale raison d’être de ma poésie. Je m’inspirais des anciennes mélodies de Lhaj Belaïd ou de celles de Lhaj Mohamed Demsiri ou encore de Raïs Ahmed Bizmawn. C'est-à-dire les leaders de la chanson amazighe que j’admire. À l’époque il n’y avait que la radio où j’écoutais les Raïssas Rqiya Damsiriya ou Fatima Tihihit Moujahid. J’ai commencé en 1983 avec la troupe de Raïs Jamaâ El Hamidi que Dieu ait son âme. J’ai intégré sa troupe en tant que danseuse. Peu de temps après, j’ai rejoint la troupe de Feu Raïs Saïd Achtouk. Puis j’ai rejoint la troupe de Raïs Moulay Mohamad Bélfqih. Depuis lors j’écris et compose mes propres chansons : je n’interprète jamais ce que je ne ressens pas personnellement. Je n’ai jamais chanté une qasida de quelqu’un d’autre.
Ma qasida préférée est celle qui traite de l’identité amazighe en Afrique du Nord. Elle traite du territoire de Tamezgha, c'est-à-dire l’Afrique du Nord. Auparavant on considérait comme simple production de l’imagination que d’affirmer qu’il existe des amazighes au Niger ou au Mali. Mais ma qasida a montré qu’il y a des amazighes au sud du Sahara. J’y dis : c’est en Afrique que se trouve la terre des amazighes libres ; au Burkina Faso, au Mali, ainsi qu’au Tchad. C’est là que s’enracine leur parole. Leur substratum, vital, tribal. C’est la terre de Tamazight que je chanterai ! Pourquoi ne serais-je qu’une outre emportée par les eaux ? J’ai pris le message qui me fait pleurer mais sans trouver de coursier pour le faire parvenir. À l’humiliation je préfère me terrer sous terre. C’est pour tamazight que je me bats contre ceux qui renient notre langue … Pourquoi je ne préserverai pas mon identité alors que les kabyles d’Algérie restent attachés à la leur ? J’ai un film sur la kahéna, l’héroïne berbère. J’ai également chanté une qasida qui parle de la mort de Matoub Lounès. Car c’était un grand pilier de la culture amazighe. Je lui ai dédié un chant funèbre où je le compare à une grosse pierre qu’on a arraché à la montagne et qui a laissé un vide béant en son lieu et place. Cette qasida parle de ceux qui militent pour l’amazighité et ceux qui s’opposent à elle. Je n’aime pas les masques : je préfère les traits naturelles. N’est pas là un objet de fierté ? N’ai – je pas le droit d’être fierté de cette histoire plus que millénaire ? Je suis chez moi, je ne suis pas partie au pays de quiconque. Les générations s’en vont mais la culture reste. La page écrite peut braver l’éternité, surtout si son contenu pèse lourd. Si nous voulons parler de la culture dans notre pays ; force est de reconnaître que nous avons des maisons de la culture mais qui n’abritent pas de culture. Le grand problème dont souffre la chanson amazighe est celui de l’information. Les médias audiovisuels avaient complètement exclu l’amazighité de leurs programmations.
Beaucoup de nos Rwayss sont décédés : où est maintenant la relève ? Les programmes télévisuels consacrés aux jeunes talents ne comportent pas de participation amazighe. Nous devons sauvegarder notre patrimoine, car la chanson amazigh est une école en soit. Elle est riche en contenu. La chaîne amazighe manque encore de crédibilité et de professionnalisme à même d’imposer la chanson amazighe. Par exemple à Studio 2M, il n’y a aucune participation en amazighe. C’est notre droit d’avoir une participation amazighe. Nous avons pourtant droit à 30% des programmes des chaînes non amazighes. Cela est clairement stipulé dans leur cahier de charge. Les ministères de la culture et du tourisme ont toujours eu une perception folklorique de l’art amazighe. On vous met toujours dans un cadre folklorique où vous ne pouvez rien donner. Pour ces ministères la chanson amazighe est un simple produit folklorique pour touristes de passage au Maroc. Cependant j’apprécie beaucoup l’initiative du ministère de la culture relative au soutien à la chanson marocaine. Maintenant les jeunes écoutent les chansons orientales et occidentales de sorte que la chanson marocaine s’en trouve exclue. Parce qu’il n’y a pas du nouveau dans le domaine de la chanson. Nous sommes dans une période où tout s’est perdu avec Internet, la parabole, les cartes mémoire, le piratage de sorte que le marché de la chanson a été perturbé. Le producteur ne peut plus tabler sur l’artiste, surtout quand celui-ci n’a pas de public. Or on ne peut pas continuer à tabler uniquement sur les artistes connus : ils s’épuisent.
J’ai maintenant plus de 30 ans de carrière ; il nous faut du sang neuf. Il ne peut pas y avoir de progrès dans le domaine artistique sans lutte contre le piratage.
Fatima Tabaamrant vient de sortir nouvel album en vcd, le 15 Octobre 2011