La langue amazighe dans la constitution
Il va sans dire que l’officialisation de la langue amazighe est un acquis et une avancée importante au regard d’énormes sacrifices consentis par des générations de militants de la cause amazighe au Maroc et de leurs alliés au sein des organisations civiles et politiques nationales. Cependant, la configuration utilisée se prête à beaucoup d’interprétations. En fait, consacrer l’officialisation de l’arabe et de l’amazighe dans deux paragraphes distincts suggère qu’il y a, définitivement, une relation hiérarchique entre une première langue qui demeure officielle, l’arabe, et une deuxième, qui doit faire ses preuves, l’amazighe. L’idée avec laquelle l’on ressort est que, hélas, la nouvelle constitution divise les Marocains en deux catégories bien distinctes : les citoyens de première classe et les citoyens de seconde classe. Nous serons vigilants également en ce qui concerne la loi organique stipulée dans la constitution qui aura pour objet de définir les modalités et les étapes de l’intégration de la langue amazighe dans les différents domaines. Nous serons d’autant plus vigilants face aux tentatives des forces conservatrices hostiles à l’Amazighité tels que les partis arabistes ou islamistes ou des résistances logées dans les sphères du pouvoir qui tenteront sans aucun doute par des subtilités juridiques, d’effacer les acquis de ces dix dernières année et de retarder au maximum l’intégration de la langue amazighe en tant que véritable langue officielle.
Travail de sensibilisation
Un travail de sensibilisation et d’informations doit être fait pour éduquer les marocains au respect de la diversité linguistique et culturelle et à son appropriation. La reconnaissance de deux langues officielles ne signifie pas une confrontation entre elles ou la division du pays en deux nations comme prétendu par certains adeptes de l’idéologie de l’exclusion, élevés dans le jacobinisme arabo-islamique. Elle signifie au contraire la concrétisation de l’égalité entre les composantes du patrimoine symbolique marocain en émulation avec les pays démocratiques disposant de plus d’une langue officielle dans leurs constitutions et ayant continué à préserver leur stabilité et leur unité. Bien au contraire les litiges peuvent surgir à cause de la persistance de la discrimination, de l’injustice et de l’exclusion et non le contraire. Il est au demeurant utile de s’inspirer des expériences et réalités des nations démocratiques dont les constitutions mentionnent plus d’une langue officielle tels que la Suisse (4 langues officielles), le Canada (2 langues), la Belgique (3 langues), la Finlande (2 langues), le Paraguay, l’Afrique du Sud (11 langues). L’inspiration de ses exemples enrichira le regard des Marocains sur leur réalité linguistique et leur permettra de sortir de l’étranglement du modèle jacobin français ethnocentriste.
Il est connu que les constitutions des pays démocratiques garantissent leur promotion et leur protection surtout quand ces langues ont été marginalisées pendant longtemps. Ces actions concernent tout d’abord la réussite de leur enseignement et de leur épanouissement avec une gestion sérieuse et pertinente du dossier. Le respect de la diversité dans tous les médias marocains sans tenter d’enfermer la langue amazighe dans une seule chaîne difficile d’accès et des radios locales, est aussi à rectifier. La formation des cadres des différentes institutions du pays (Justice, Santé, administrations publiques…) doit se faire dans la langue amazighe afin qu’elles puissent assurer la fonction de langue officielle. Cette formation doit toucher l’ensemble du territoire et l’ensemble des échelles de l’administration.
La langue Amazighe standardisée dispose de documents modernes tels que des dictionnaires, des lexiques spécialisés, des ouvrages de grammaire, d’anthologies littéraires, de didactique, et de toutes les constituantes d’une langue moderne qui font qu’il ne peut être argué d’un prétendu défaut ou absence de préparation à une officialisation immédiate.
Le système éducatif
Que les conditions matérielles et humaines suffisantes soient satisfaites, ainsi que l’arsenal juridique requis, pour intégrer la langue Amazighe à l’université. Il est urgent de créer des postes budgétaires suffisants pour les lauréats des filières et master d’études amazighes dans l’université, de même, il est d’une nécessité impérieuse de créer des départements de la langue et culture Amazighes au sein des universités marocaines comme il en existe pour les autres langues, et de débloquer un budget suffisant pour leur fonctionnement.
Il est aussi impérieux de créer une unité spéciale au sein du Ministère de l’Education Nationale pour veiller au bon fonctionnement de l’opération d’intégration de la langue Amazighe dans le système éducatif (primaire, collège et lycée). L’apprentissage de cette dernière doit être obligatoire à l’instar des autres langues, sa généralisation doit se faire horizontalement sur l’ensemble du territoire national, et verticalement dans tous les cycles de l’enseignement dans des délais raisonnables, L’implémentation du processus de l’unification progressive de la langue amazighe ainsi que son enseignement avec son alphabet le tifinagh, qui a obtenu une reconnaissance nationale et internationale depuis des années, doit se poursuivre. Toute remise en question de ces principes est un entérinement flagrant de la ségrégation contre la langue et la culture Amazighes.
Programmes scolaires
Les programmes scolaires doivent être assainis de tous contenus pouvant inspirer un regard diminutif de l’Amazighe, sa réhabilitation en tant qu’identité, langue et culture dans tous les programmes d’études et particulièrement l’histoire dans tous cycles et niveaux d’enseignement. Ces programmes doivent traduire une relecture et une réécriture de l’histoire du Maroc scientifiquement et objectivement sur les fondements des indices archéologiques et littéraires les plus anciens, ainsi que le rejet de toute préférence subjective entre l’histoire ancienne et l’ère islamique de l’histoire du Maroc. Le rôle des sommités et personnalités nationales sans considération de leurs origines, leurs référentiels et les domaines de leurs actions doit être mis en exergue. Les établissements, les rues, les avenues et les espaces publics doivent également porter les noms des personnalités Amazighes. Les manuels d’histoire et autres livres scolaires doivent comporter une description équitable, précise et éclairée de la culture et de la civilisation Amazighe.
Médias
Que les médias publics soient libérés de la tutelle du pouvoir exécutif, de ses orientations et de sa censure, et en faire une tribune de débat public vif qui reflète la réalité de la société marocaine avec toutes ses composantes ;agir sur la politique d’information officielle pour sortir l’Amazighe de la sphère du tabou, en encourageant l’approfondissement du dialogue national sur les composantes de l’identité marocaine et les dimensions de la personnalité culturelle nationale, le rôle de l’Amazighe dans l’édifice civilisationnel marocain ; et ce pour fournir aux citoyens les connaissances suffisantes pour changer la conception négative de leur culture originelle, et corriger les préjugés cultivés par l’ancienne politique de l’information. Il est également juste de programmer 30% de programmes amazighes sur les autres chaînes marocaines de télévision, à l’instar du canal amazighe qui produit 30%de programmes en arabe. Reprogrammer les informations amazighes dans la première et deuxième chaîne de manière à permettre à l’Amazighe de bénéficier du droit de diffusion en temps de grande affluence, et doter la chaîne amazighe de transmissions par câble au moyen de crédit requis pour qu’elle puisse produire des programmes pouvant satisfaire la demande en qualité requise et satisfaire les besoins des téléspectateurs. Il est également devenu impérieux de structurer la radio centrale amazighe sous forme de direction indépendante administrée par des responsables initiés à la langue et à la culture amazighes, de renforcer ses équipements de diffusion pour couvrir la totalité des régions proches et lointaines, d’augmenter le nombre d’heures d’émission atteignant 24 heures non stop, de rendre justice aux salariés de la radio amazighe en les faisant bénéficier des conditions normales de travail, avec tous leurs droits d’égalité avec les autres fonctionnaires dans le domaine de l’information, comme leur droit de bénéficier de cession de formation et de participer aux concours d’obtention d’autres prix. A ce niveau, nous constatons le manque d’intérêt pour les droits amazighs au niveau du conseil d’orientation journalier, et de prise de conscience au sein des programmes de l’Etat, de telle sorte que les Amazighes reçoivent le même discours avec la même langue qu’autrui. Les autorités éducatives ont procédé depuis 2001 à l’intégration de la matière des droits de l’homme dans les programmes scolaires, sans que cela comprenne clairement les médias. Ces autorités n’ont accordé aucun intérêt, parmi lesdits droits, aux droits culturels et linguistiques, au droit à la différence; l’accent a été mis sur les autres droits politiques et civils. Le discours général sur les droits écarte toujours les droits culturels et linguistiques. C’est l’influence de la politique d’assimilation accréditée par l’Etat ; le discours dominant tend à confirmer que les Marocains sont un même et seul peuple de même langue, de même culture et de même origine, malgré la reconnaissance officielle de l’amazighité comme composante fondamentale de la personnalité marocaine depuis 2001.
Administrations et institutions publiques
L’égalité des marocains devant la loi, au demeurant prévu par la constitution, ne doit pas être seulement théorique, au même titre que leur égalité en ce qui concerne leur langue de communication quotidienne. Le droit à la langue doit permettre que soient compris leurs dires en cette langue lors des plaidoiries ou devant l’administration afin que leurs droits soient assurés. Jusqu’à présent, au Maroc, certains agents d’autorité et de justice exigent des citoyens amazighs, ignorant l’arabe ou le parlant mal, l’usage de cette langue au sein des institutions, ce qui conduit à les priver de leurs droits.
Malgré la modification du Code du statut personnel en 2004, (la Moudouana), et la campagne de prise de conscience des nouvelles modifications auprès des femmes, la femme amazighe demeure privée de son droit de compréhension de la Moudouana du fait que la langue amazighe n’a pas été utilisée par l’état dans les campagnes de sensibilisation particulièrement en milieu rural où se trouvent des femmes ne connaissant rien de leurs droits. Le Ministère de la Justice n’a pris aucune initiative pour l’élaboration d’une traduction officielle en langue amazighe écrite et audiovisuelle du texte de la Moudouana et des divers autres textes accrédités par le gouvernement qui les diffuse. Des associations amazighes ont entrepris ce travail extra institutionnel sans disposer des canaux officiels requis pour diffuser leur travail et le faire connaître aux populations concernées.
Richesses nationales
Partager équitablement les richesses nationales, permettre aux régions de bénéficier de leurs biens matériels et symboliques et de leurs ressources humaines, cesser de s’accaparer les terres des tribus et des habitants dans le monde rural et de les usurper illégalement, de s’approprier les terres récupérées qui ont été cédées ou louées aux sociétés privées, de les restituer à leurs propriétaires légitimes, annuler le conseil de tutelle et mettre fin aux systèmes juridiques actuellement institués dans l’administration des terres collectives, une législation héritée du protectorat français et accréditée par les autorités marocaines après l’indépendance par le même procédé ayant prévalu pendant l’ère coloniale. Nous appelons également au respect des lois nationales et internationales pour l’exploitation des mines et de la pêche hauturière, au respect des droits des habitants et de leurs intérêts comme priorité ne souffrant aucun retard et atermoiement, à imposer la transparence au sujet des mines et des richesses halieutiques pour qu’elles soient discutées au parlement et au gouvernement, à mettre fin au monopole de certaines parties dans l’exploitation exclusive de ces richesses pour s’enrichir au détriment des droits du peuple marocain.
Les prénoms amazighs
L’interdiction des prénoms amazighes auprès des bureaux d’état civil doit être levée sans tarder, de même que doivent être annulées les listes qui imposent des noms définis au détriment d’autres. La commission supérieure de l’état civil doit être dissoute et la liberté des parents dans le choix des prénoms adéquats pour leurs enfants doit être respectée en toute liberté, sans discrimination. Le choix des prénoms amazighes est lié à la spécificité de la culture et civilisation amazighes avec sa vision du monde et ne doit en aucun cas dépendre d’une autre culture (en l’occurrence arabe) qui a sa propre histoire culturelle. La seule interdiction qu’il peut y avoir au niveau du droit, c’est lorsque ces prénoms paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant et peuvent lui porter préjudice.
Les toponymes amazighs, noms de lieux et espaces publics
Réhabiliter les toponymes amazighes au Maroc et faire connaître leurs sens et leurs significations à l’école et dans les médias, se rétracter de leur falsification ou de leur déformation sur les panneaux de signalisation routière comme c’est le cas durant ces 50 dernières années, dont la conséquence est l’occultation d’un grand nombre de toponymes et à l’arabisation de la géographie marocaine dans une grande proportion, contrairement à ce qui est reconnu par les textes internationaux invitant à s’abstenir du changement des noms de lieux pour les remplacer par des noms d’une autre langue, et ce, en préservation de l’identité géographique, de l’histoire du pays et de sa civilisation. Ecrire sur les façades des établissements publics et semi publics, les panneaux de signalisation en graphie amazighe tifinaghe aux côtés de la graphie arabe, permettre l’utilisation de la graphie amazighe sur les devantures privées vu qu’elle a été entérinée officiellement pour l’enseignement de la langue amazighe dans les écoles marocaines, et avec tout ce que cette graphie représente en termes d’authenticité et profondeur historique pour le Maroc et pour l’Afrique du Nord. Mettre fin au monopole de l’espace public par les deux langues arabe et française ; renoncer de la part de certains politiques à l’aspiration jacobine à imposer une langue unique dans tous les domaines de la vie publique comme langue de l’Etat et de la société marocaine.
La représentativité des acteurs amazighs
Veiller à la représentativité des acteurs amazighes dans les conseils et les commissions nationaux crées pour l’établissement des plans et des programmes nationaux ou pour la rédaction des référentiels politiques et juridiques, et ce en égalité en nombre avec leurs concitoyens se définissant comme appartenant à l’arabité, leur permettre de participer à élaborer les plans et les conceptions susceptibles de garantir le développement global qui ne peut exclure aucun élément. Mettre fin au monopole illégale de certaines familles sur les postes diplomatiques, en adoptant le critère de la compétence pour occuper de tels postes influant sur l’image du Maroc à l’étranger et sur ses relations avec les nations du monde. Nous appelons aussi à mettre fin à la tutelle sur les Amazighes dans le domaine de l’armée, et permettre leur promotion en adéquation avec leurs compétences et leur dévouement au service de leur patrie, et de ne pas accorder aux enfants de certaines familles, à l’exclusion des autres, le droit de promotion au grade supérieur. Nous aspirons à l’équité et l’égalité dans les promotions au sein des corps de l’armée pour que cessent les prestiges accordés à certains clans familiaux.
Le discours officiel de l’Etat marocain
Les partis politiques
Nous invitons les partis politiques marocains à entreprendre une révolution interne pour renouveler leur légitimité en sortant de leur immobilisme idéologique, à mettre fin à l’hésitation dans leur pensée et à leur divagation doctrinaire, et élargir le débat avec leur base dans toutes les régions du Maroc, être à l’écoute de la société, et trancher sur la problématique de l’identité et de l’appartenance marocaines au profit d’une acception démocratique respectant toutes les composantes et à leur tête l’amazighité comme identité, langue et culture. Cesser l’exploitation saisonnière de l’amazighité en périodes électorales, pour s’en défaire après cela dans l’action politique quotidienne.
Le découpage régional
Que le découpage régional escompté tienne compte des deux facteurs historique et culturel, en préservation de l’harmonie avec la personnalité régionale qui joue un grand rôle dans la réussite des projets de développement, étant donné son rôle comme ciment socioculturel solide entre les citoyens de la région et ce qu’elle offre comme possibilités d’accréditation des spécificités locales. Il est prouvé que tout projet de développement ne prenant pas en compte la culture de l’homme, sa langue et son environnement est exposé à l’échec, parce que les premiers pas de la réussite du projet de développement consiste en l’encadrement, la prise de conscience et la sensibilisation visant l’intégration de l’individu dans la dynamique du projet et tisser les liens sociaux et les conditions psychiques et mentales pour sa réussite. De là, le respect de l’élément humain par le biais du respect de ses emblèmes culturels et de sa langue confère une profondeur culturelle et humanitaire au développement démocratique dans l’espace local et régional. Nous considérons que le découpage régional fondé sur les purs calculs sécuritaires ou administratifs est de nature à entraver le développement régional fondé sur l’intégration de l’individu dans son environnement. Sur la base de cette logique, nous refusons le découpage proposé par la commission du régionalisme élargi et nous formulons des réserves sur ce qu’il comporte comme concepts ne respectant pas les critères internationaux du régionalisme et qui n’accordent pas des prérogatives suffisantes à la région. En outre, cette perception est fondée sur une conception centraliste dominée par des petits calculs en contradiction avec toutes les propositions des associations Amazighes à ladite commission.
Rabat le 14 Septembre 2011
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