Le gouvernement marocain a rendu public le projet de nouvelle Constitution qui sera soumis à un référendum le 1er juillet prochain.
Après une analyse du contexte et du document présenté, le Congrès Mondial Amazigh (CMA) déplore la précipitation et le manque de transparence dans lesquels se sont déroulés les pseudo-débats organisés par la commission chargée d’élaborer le projet de nouvelle Constitution du pays. Alors que les citoyens attendaient une large concertation nationale, le projet a été ficelé en quelques semaines et en petit comité.
Le CMA dénonce notamment le fait que la commission n’ait pas daigné écouter l’avis des organisations et personnalités amazighes représentatives. Il en ressort un projet qui contient certes des avancées notables mais aussi des contradictions, d’importantes insuffisances et l’incompréhensible maintien de plusieurs dispositions non démocratiques, voire archaïques.
Parmi les motifs de satisfactions, on notera :
- La reconnaissance du statut de langue officielle pour Tamazight. L’article 5 prévoit désormais que «l'amazighe constitue une langue officielle de l'Etat». Il s’agit là assurément d’une victoire historique du mouvement amazigh, après un combat pacifique exemplaire de plusieurs décennies aussi bien au niveau national qu’international. Le même article ajoute qu’«une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l'enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle». Mais qu’il soit clair qu’aucune de ces dispositions ne devra être utilisée comme prétexte pour instaurer une quelconque primauté de l’Arabe sur l’Amazigh ou pour retarder la concrétisation de l’officialité de la langue amazighe. Tamazight devra bénéficier très vite d’un vaste plan de rattrapage de développement afin qu’elle puisse jouer pleinement son rôle de langue officielle dans les plus brefs délais. Constatant que les lobbys et les partis arabosalafistes (notamment le parti arabonationaliste Istiqlal actuellement au pouvoir et le parti islamiste PJD) se sont farouchement et publiquement opposés à l’officialisation de Tamazight, sans doute qu’ils mettront tout en œuvre pour la mettre en situation d’échec. Il incombe alors au mouvement Amazigh de rester particulièrement vigilant et combatif afin que le caractère officiel pour Tamazight soit pleinement respecté et appliqué sans délai.
- Le projet de la nouvelle Constitution affirme dans son préambule que le Maroc s’engage à «accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale». Le Maroc reconnaît donc la prééminence du droit international sur le droit interne, accédant ainsi aux revendications maintes fois réitérées par le mouvement associatif amazigh. Cependant et vue la nature de la rédaction de ce point, il est évident que pour nous, nulle loi ou disposition réglementaire ou administrative internes, ne sauraient limiter ou réduire en quoi que ce soit et pour quelque raison que ce soit, les droits et les libertés fondamentales contenus dans les Chartes, Conventions et Pactes internationaux. En tant qu’ONG, le CMA veillera scrupuleusement au respect de ce principe.
- Dans son préambule également, le projet de nouvelle Constitution affirme que le Maroc «s'engage à souscrire aux principes, droits et obligations énoncés dans leurs chartes et conventions respectives, il réaffirme son attachement aux droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement reconnus». Il prévoit également de «protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l'Homme et du droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité». De même, l’Etat s’engage à «bannir et combattre toute discrimination à l'encontre de quiconque, en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l'origine sociale ou régionale, de la langue, de l'handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit». L’engagement de l’Etat de lutter contre toutes les formes de discrimination et de respecter les droits humains dans leur définition universelle est également une réelle avancée. A charge pour les organisations nationales et internationales de défense des droits humains de veiller au respect plein et effectif de cet engagement.
- Concernant l’égalité homme-femme, l’article 19 du projet affirme que «l'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes». Sur ce point fondamental il nous parait également important de préciser qu’il serait inacceptable qu’une quelconque «constante» ou «loi du royaume» vienne contrecarrer de quelque manière que ce soit, le principe de l’égalité dans tous les domaines, entre l’homme et la femme.
par ailleurs, nous regrettons fortement que ce projet de nouvelle Constitution du Maroc, recèle de graves insuffisances et des dispositions falsificatrices et contraires à la réalité et aux intérêts suprêmes du pays.
Au plan des insuffisances, le Congrès Mondial Amazigh déplore :
- L’absence dans le préambule du projet de nouvelle Constitution, des fondements historiques et civilisationnels Amazighs du Maroc. Les rédacteurs du projet occultent sciemment le passé amazigh plusieurs fois millénaire du pays et omettent de reconnaitre que la souche autochtone du pays est amazighe et que celle-ci a bénéficié des apports d’autres cultures et civilisations, notamment africaine, méditerranéenne, juive, arabe, européenne. Rien n’est mentionné également sur les siècles de colonisations, d’injustices, de privations, de marginalisation et de répression subis par le peuple Amazigh et sa soif de liberté qui lui a coûté tant de sacrifices.
- L’interdiction qui frappe les partis régionaux, dans la mesure où l’article 7 indique que «les partis politiques ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale». Pourtant, cet article qui existait dans l’ancienne Constitution n’a pas empêché la présence de partis ouvertement islamistes et arabonationalistes. Cet article viserait-il alors à interdire l’expression politique des Amazighs susceptibles de fonder des organisations politiques notamment dans leurs territoires traditionnels comme le Rif, l’Atlas, le Souss, etc ? Cette disposition est donc anti-démocratique et porte atteinte au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel que stipulé par les principaux instruments des Nations Unies adoptés par l’Etat marocain. En définitive, bien que l’article premier de la nouvelle Constitution prévoit que «l'organisation territoriale du royaume est décentralisée et fondée sur une régionalisation avancée», force est de constater que le Maroc reste un Etat jacobin qui refuse le droit aux citoyens de s’organiser librement notamment au niveau des régions dotées d’une identité géographique et socioculturelle propre.
Concernant les dispositions falsificatrices et/ou contraires à la véritable identité socioculturelle du pays :
- Dans le préambule, les rédacteurs du projet de nouvelle Constitution définissent le Maroc comme un «Etat musulman» ayant des «composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, et enrichi de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen». Cette énumération dans cet ordre, laisserait entendre que chronologiquement, la première et la plus importante composante de l’identité du Maroc serait «l’arabo-islamique», ce qui est évidemment faux. L’histoire et la réalité socioculturelle du pays enseignent que les Amazighs sont le peuple autochtone du Maroc et de tout le nord de l’Afrique et que leur présence dans cette région remonte à la nuit des temps. Quant aux «Arabo-islamiques», ils ne sont arrivés au Maroc qu’au 8ème siècle de l’ère chrétienne. De plus, actuellement, la composante humaine amazighe est largement majoritaire. Il s’agit là manifestement d’une représentation fausse et malhonnête de l’histoire et de la réalité socioculturelle du pays.
- Dans le préambule également, il est prévu d’«approfondir le sens d'appartenance à la Oumma arabo-islamique». S’agit-il là d’un relent communautariste ou d’une concession formelle accordée au lobby arabo-nationaliste et islamiste au Maroc ? De toutes les manières, nous réaffirmons simplement mais résolument que, tout en respectant cette «nation arabo-islamique» si tant est qu’elle existe, les Amazighs n’ont jamais appartenu ni n’appartiendront à cette «Oumma» à laquelle on veut les rattacher de force et dans laquelle on veut les dissoudre par assimilation. Les Amazighs ont leur propre identité et nation, ils refusent fermement toute forme de colonisation mais sont disposés à vivre en bonne intelligence, c’est-à-dire dans le respect mutuel, avec toutes les nations du monde.
- L’article 3 du projet de nouvelle Constitution prévoit que «l'Islam est la religion de l'Etat». Même s’ils sont majoritairement musulmans, les Amazighs sont de tradition culturelle laïque. C’est pourquoi, les organisations de la société civile amazighe ont toujours réclamé la séparation de la religion avec l’Etat. De plus, cet article est contraire à la liberté de conscience et de culte et se trouve en contradiction avec les principales normes internationales relatives aux libertés fondamentales.
En définitive, les quelques points positifs enregistrés dans ce projet de nouvelle Constitution, cachent de graves insuffisances, contrevérités et conservatismes idéologiques qui suscitent de sérieux doutes sur la sincérité du pouvoir marocain et sur sa volonté de bâtir un Etat de droit, ouvert, tolérant, moderne et pluriel. Au mieux, la nouvelle Constitution proposée peut être considérée comme une étape de transition – que nous souhaitons la plus courte possible – vers une ère plus démocratique. Cette période transitoire devrait être mise à profit pour réhabiliter entièrement l’identité amazighe du Maroc et s’en inspirer pour proposer un projet participatif, équitable, tolérant et tourné vers l’émancipation individuelle et collective. C’est pourquoi nous invitons la société civile amazighe à poursuivre courageusement la lutte pacifique pour la justice, la dignité et la liberté pour tous. De son côté le CMA continuera à agir sans relâche au niveau international dans le but de faire progresser l’état de droit non seulement dans les textes mais aussi et surtout en veillant à leur application dans les faits.
Paris, le 10/06/2961 - 22/06/2011
Le Bureau du CMA.