Le mouvement de revendication amazigh : quelques repères historiques
Lorsque nous nous retrouvions, en 1968, autour de Mouloud Mammeri, devenu depuis le père spirituel du mouvement culturel amazigh, nous n’étions qu’une poignée d’étudiants. Le cours de tamazight, toléré avant d’être interdit, était pour ainsi dire l’alibi qui nous permettait de nous rencontrer pour parler d’amazighité de façon plus large.
Nous avions, à partir d’un simple cours de langue, pris conscience de l’injustice qui était faite à l’endroit d’une communauté nationale importante ; celle des amazighophones qui avaient contribué au plus haut à l’effort de guerre pour la libération du pays et qui était en droit d’attendre une reconnaissance.
Il est vrai que des ainés nous ont précédés, notamment des cadres du mouvement national qui ont été les acteurs de la crise dite berbériste de 1949. « L’Académie Berbère » a également joué un rôle fondamental dans notre conscientisation, même si son discours avait parfois été excessif.
Ce groupuscule de la fin des années soixante devenu le « groupe berbériste » d’Alger finira par s’élargir. De plus en plus d’étudiants adhérent à l’idée de revendiquer un droit théoriquement inaliénable, celui d’exister en tant qu’amazigh dans ses composantes identitaire, culturelle et linguistique.
Ces mêmes étudiant de M.Mammeri se retrouveront une nouvelle fois dans la vie active à Tizi-Ouzou où sera implanté, quelques années plus tard une université qui deviendra le lieu privilégié de la contestation/revendication.
Tout les ingrédients étaient alors réunis pour qu’éclos le « Printemps Amazigh » qui culminera par le 20 avril 1980 avec « l’opération Mizrana », une opération policière qui se terminera par des centaines de blessés.
Vingt quatre cadres du mouvement seront alors déférés devant la cour de sureté de l’Etat avec le chef d’accusation Organisation clandestine visant au renversement du gouvernement, intelligence avec l’étranger, passible de l’article 77, peine capitale.
L’amazighité venait d’être condamnée à mort. Seule la situation pré-insurrectionnelle en Kabylie fera reculer le pouvoir qui libérera les prisonniers. Une première victoire qui donnera suite à de nombreux acquis.
Le Mouvement culturel Berbère, désormais structuré, organisera deux séminaires qui expliciteront les revendications. Démocratie, liberté d’expression, enseignement du tamazight et de l’arabe dialectal seront entre autres l’objet de la contestation.
Une contestation qui n’a cessé d’être réprimé mais dont le mouvement sortira de plus en plus fort. Dés 1985, le MCB donnera naissance à la ligue algérienne des droits de l’homme et à l’association des enfants de chouhadas qui devait délégitimer les hommes du pouvoir. Une nouvelle fois des animateurs seront déférés devant la cour de sureté de l’Etat et connaitront de nouveau les affres des geôles de la république.
Le combat démocratique commencé à Tizi-Ouzou essaimera à travers toute l’Algérie pour aboutir, en 1989, au multipartisme, une autre étape qui permettra d’autres avancées puisque des partis d’opposition inscriront dans leur programme d’action les revendications propre au MCB, notamment le statut de langue nationale et officielle pour la langue amazighe.
Une marche historique sera organisée par le mouvement le 25 janvier 1990 à Alger et drainera plus d’un million de personnes. Conséquence immédiate deux départements de magisters en langue et culture amazighe verront le jour en Kabylie.
La « grève du cartable », en 1994, qui consacrera l’année blanche au niveau des cycles d’enseignement primaire, secondaire et supérieur aboutira enfin à l’institutionnalisation de l’enseignement du tamazight dans les structures éducatives.
En 2001, le printemps noir, avec ses 103 citoyens froidement assassinés ainsi que ses dizaines d’handicapés à vie, verra consacrer de manière constitutionnelle (article 3 bis) le statut de langue nationale à la langue amazighe.
Cette longue marche en chemin épineux n’aura pourtant pas, à ce jour, aboutit aux aspirations des amazighophones qui demeurent citoyens du deuxième collège, leur langue ne bénéficiant pas encore du statut de langue officielle seul à même de rétablir l’équilibre entre le tamazight et l’arabe et mettre un terme à une injustice qui n’a que trop duré.
La langue nationale est une langue naturellement parlée dans la communauté nationale. Celle-ci peut être composée de plusieurs communautés linguistiques. Une bonne gestion linguistique est donc nécessaire à la stabilité et l’équilibre de la nation. Toute oppression ou exclusion d’une langue nationale peut entraîner le pays dans une aventure qui peut être dramatique. En effet, la langue est l’axe central de l’identité et un instrument de cohésion communautaire. Toute communauté linguistique mise au banc de la communauté nationale se recroqueville autour de son identité propre et accentue ainsi l’isolement dans lequel elle a été poussée. Non reconnue en tant que communauté linguistique, cette dernière risque de réagir de façon irréversible en demandant la séparation avec la communauté dominante politiquement.
On a tendance à penser que tous les vernaculaires sont langues nationales parce que véhiculaires à l’intérieur des frontières d’un pays. La réalité est que ce concept est défini de manière juridique. N’est en fait langue nationale que celle qui est constitutionnellement reconnue par les instances politiques du pays.
Dés lors que ce statut est acquis, l’Etat est censé mettre en œuvre tous les moyens pour développer, moderniser, diffuser et socialiser la dite langue. Pratiquement, dans les Etats centralisés, ce statut n’a qu’une valeur symbolique et tout est fait pour que la langue de la communauté linguistique au pouvoir ne soit pas concurrencée.
L’hégémonie linguistique imposée politiquement par les autorités nationales, loin d’être unificatrice peut, au contraire, être à l’origine de révoltes qui peuvent dériver vers le séparatisme. L’unité d’un peuple doit nécessairement se construire autour de la pluralité.
Contrairement à la langue nationale, le choix de la langue officielle obéit à une démarche pragmatique. Ainsi peut-on adopter une langue étrangère (le plus souvent le français ou l’anglais en Afrique) pour en faire une langue d’expression et de communication de l’Etat, les langues nationales étant très nombreuses et/ou parce qu’insuffisamment développées pour en faire de véritables outils de travail.
Il arrive souvent qu’à coté d’une langue étrangère (et considérée telle) utilisée simplement comme un instrument de fonctionnement et de gestion de la nation, une langue nationale soit élevée au rang de langue officielle, pour des raisons, le plus souvent, idéologiques. L’autre (ou les autres) occupant une position d’infériorité avec toutes les conséquences liées à la diglossie et son corollaire l’idéologie diglossique.
Dans tous les cas, cette langue (ou ces langues) officielle (s) devient le moyen d’expression de l’Etat à travers ses institutions et ses représentations à l’étranger.
Pour ces raisons, toutes les autres langues doivent lui être sacrifiées. Bien entendu, tout ce qui est dit n’est valable que dans les pays centralisés (modèle jacobin français) puisque dans la plupart des pays développés de nombreuses langues officielles se côtoient naturellement Suisse, Belgique, Israël…).
Enfin il existe des pays qui n’ont pas ressentit le besoin d’avoir une langue officielle, laissant au marché linguistique de faire émerger la langue de travail la plus efficace (USA).
On aura compris que dans les cas où elle est explicitement annoncée, la langue officielle devient la seule légitime dans les limites territoriales administrées par l’Etat. Au même titre que l’Etat dont elle est l’expression, cette langue devient omniprésente et omnipotente. Elle est le levier essentiel de la politique et de la religion et donc le levier de la nation. Imposée comme norme, elle devient la propriété quasi exclusive des décideurs qui pérennise ainsi leurs privilèges.
Parce que génératrice de profits, cette langue officielle pénètre insidieusement les populations qui l’adoptent au détriment de leurs idiomes propres. A terme s’opèrent des transformations au niveau des structures mentales, l’idéologie diglossique ayant fait son œuvre. L’aliénation qui en découle amènera les locuteurs de la langue non officielle à devenir, comme le dit si bien M. Lacheraf, des « militants actifs de leur propre aliénation ».
Immanente, elle se veut transcendante et toute langue qui osera lui faire ombre est jugée d’apostasie. Elle sera la seule autorisée à pénétrer pleinement dans les structures de l’enseignement. Par cette langue, le maître se chargera d’éduquer le citoyen dans le sens de la docilité et du respect du pouvoir. Il sera, pour reprendre G.davy « le maître à parler et à penser ».
Progressivement, le discours produit par la langue officielle a force de loi et tout récalcitrant est sanctionné comme tel. Un discours insidieux qui vous dicte vos attitudes dans chaque acte de la vie quotidienne. Tout écart vous condamne à l’excommunication. C’est la force de frappe de la langue officielle.
Ce qui suivra peut être repris à l’identique dans le cas du Maroc. Quatre langues se partagent, en effet l’espace nord-africain. La langue française héritée du colonialisme et imposée par l’histoire ; la langue arabe littéraire, une langue ésotérique imposée politiquement ; la langue amazighe et le Maghribi (Dénomination du sociolinguiste Abdou ELIMAM) dans leurs différents dialectes, pleines de vitalité mais ignorées par les institutions.
La langue arabe littérale est principalement écrite. Il s’agit d’une langue dont la réalité fonctionnelle (au sens communication spontanée) est peu importante. Langue savante, peu maîtrisée par l’ensemble des citoyens elle est confinée dans des domaines particuliers, essentiellement, la religion, l’enseignement et l’administration.
Même si cette langue a eu des velléités de changement notamment, en se modernisant, il n’est pas sûr qu’elle ait, pour le moment, conquis le grand public. Sa vocation de langue unificatrice du monde dit arabe est, donc, loin de se réaliser. Faute d’avoir pu « coller » à la réalité, elle n’a pas pu s’implanter dans la société et a été, conséquemment supplanté par la langue française malgré la politique volontariste menée par l’Etat.
La langue française, continue de jouir d’un transfert positif auprès des populations qui la perçoivent comme langue de la rationalité et de « grande culture ». Même ses « opposants » les plus farouches envoient leurs progénitures dans les écoles et universités françaises. Bien que ne bénéficiant pas du statut de langue officielle, elle reste la langue de travail et, dans une large mesure, de la promotion sociale.
Pour des raisons historiques le français s’est « taillé la part du lion » dans le champ linguistique algérien. Sa socialisation a été si importante que la politique de « défrancisation » menée par l’Etat algérien a été un échec. Cette langue continue à subjuguer les citoyens qui n’arrivent pas à s’en « défaire » et pas toujours pour des raisons professionnelles. Elle continue, en effet, d’être perçue comme la langue du « monde civilisé ».
Non officielle, le français, continue, de fait, à accomplir cette fonction.
Le Maghribi demeure, du point de vue de la fonction sociale, plein de vitalité à la fois par son nombre de locuteurs que par son rôle de véhicule linguistique. Distinct de l’arabe littéral, tant par son lexique que par sa morpho-syntaxe et sa phonologie, l’arabe algérien peut prétendre au statut de langue à part entière. Malgré l’influence, non négligeable, de l’arabe littéral, le Maghribi garde toute son autonomie.
La langue amazighe est la langue autochtone. Sous la forme de ses différentes variétés, elle reste une langue vivante et vigoureuse. Dans nombre de régions, le monolinguisme domine chez les femmes et les enfants en âge pré-scolaire. Il est vrai, toutefois, que cette langue a perdu du terrain. L’exode rural, l’hégémonie du français puis de l’arabe, la dévalorisation… ont entraîné son recul. Il semble, pourtant, que la courbe, faute de devenir ascendante, se soit stabilisée. La prise de conscience identitaire des amazighophones, redonne un nouveau « souffle de vie » à cette langue qui ne veut pas mourir.
Langue naturelle, au sens où c’est la première langue d’expression (rares sont les amazighophones qui l’ont apprises à l’âge adulte), le tamazight permet au locuteur de s’insérer dans sa communauté.
Tous les discours sur les langues sont fortement « idéologisés » et le plus souvent aucun compromis n’est possible entre les partisans de l’arabe littéral, ceux qui tiennent au maintien des langues naturelles et les défenseurs de la langue française. Il est évident que ces « secteurs linguistiques » sont inter pénétrables mais, d’une manière générale, chaque groupe campe sur ses positions, la langue de chacun restant un bastion à défendre car toujours considérée assiégée. Il est clair, que dans ce combat inégal, les langues naturelles (principalement le tamazight) sont celles qui en pâtissent le plus puis qu’elles ne sont ni officielles ni langues de travail.
La hiérarchie linguistique imposée par l’Etat trouve écho chez les locuteurs des langues dominées. La raison se trouve dans le rapport qui existe entre la langue et le statut social. En effet, tout se passe comme si dans la tête de chaque locuteur algérien existe une hiérarchie établie pour chaque situation communicationnelle. Autant dire qu’en chacun de nous existe un menu que nous servons ordinairement et une carte dans laquelle nous choisissons nos réponses dans les cas où la stratégie l’impose (soirées mondaines, réunions politiques, conférences publiques…).
Le domaine d’utilisation va, donc, influer directement sur le choix de l’idiome. C’est, précisément, par rapport à cette influence que se fait la hiérarchie des langues.
En Algérie, l’arabe littéral et le français se concurrencent pour la première place. Le premier parce que sans lui aucune promotion politique n’est possible, le second parce qu’il procure des privilèges sociaux non négligeables.
L’arabe parlé, langue véhiculaire, occupe la troisième position devant le tamazight qui reste essentiellement parlé dans des régions bien délimitées.
Cette hiérarchie, faite de langues dominantes et de langues dominées, est à l’origine de l’insécurité linguistique des locuteurs qui ne maîtrisent pas les langues écrites et de ceux qui ont honte de leurs langues naturelles parce qu’elles ne sont, à leurs yeux, que des patois non dignes d’intérêt. Cette attitude est le résultat de l’idéologie diglossique qui fait que le statut de la langue orale se trouve, largement, entamé.
La différence de statut fait que la langue dominante prend de plus en plus d’espace avec à terme la disparition de la langue dominée par phénomène de substitution.
Par un processus dialectique, la glottophagie entraîne une insécurité linguistique, elle-même accélérant la glottophagie pour aboutir à une totale aliénation linguistique (parler la langue dominante, mimer ses intonations devient une moyen de valorisation sociale), et une absence totale de loyauté linguistique.
Jusqu’en 1980, la diglossie était stable en ce sens que les amazighophones s’étaient résignés à voir leur langue confinée dans le domaine de l’oralité voire disparaître. Depuis le printemps amazigh, la donne a changé. La contestation/revendication, la prise de conscience qui s’est démocratisée, les nombreux travaux de recherche ont finit par modifier, un tant soit peu, les rapports hiérarchiques. La diglossie est depuis devenue instable et pour reprendre Aracil et Ninyoles (sociolinguistes catalans), on est aujourd’hui dans « un rapport conflictuel entre deux langues dans lequel l’une domine l’autre politiquement ; les formes et les moyens de la domination vont de ceux franchement agressifs à ceux plus tolérant politiquement mais dont la force répressive serait de nature idéologique ». Et, bien entendu, qui dit conflit dit revendication et rapport de force.
C’est précisément ce qui a amené l’amazighité à faire irruption dans des espaces réservés jusque là aux seules langues arabe et française. Sur le plan institutionnel elle est reconnue langue nationale et l’identité amazighe est une composante de l’identité nationale. Mais cette « élaboration linguistique » peut, en fonction des rapports de force s’accélérer, stagner ou régresser. En effet, les acquis ne sont donc jamais définitifs.
Nous nous sommes longuement attardés sur l’historique du mouvement pour montrer combien la lutte a été longue et pénible. Nous avons également abordé les questions de paysage linguistique et les relations inter-linguistiques pour expliquer l’ostracisme qu’endure toute langue dominée et par conséquence sa communauté de locuteurs.
Nous connaissons aussi le discours combien de fois répété pour s’opposer à l’officialisation, le tamazight n’étant pas une langue suffisamment normalisée.
Or pour reprendre Luis Aracil, une véritable normalisation ne saurait se borner aux aspects purement linguistiques…c’est une véritable macrodécision, qui, comme les macrodécisions économiques, tend à orienter le futur d’une communauté... ».
Cela suppose donc une volonté politique qui vise à mettre sur le même pied d’égalité les deux langues nationales que sont l’arabe et le tamazight.
Le statut de langue officielle est d’ordre principiel. Une fois ce statut acquis constitutionnellement, le temps nécessaire à son développement lui sera accordé comme ce fut le cas pour la langue arabe.
Cette officialité permettra une normalisation linguistique au sens de rendre normale son utilisation dans tous les secteurs de la société, ce qui aboutira à ce que J.B.Marcellesi appelle «Une reconnaissance-naissance ».
Une reconnaissance par le pouvoir politique qui permet, grâce aux moyens de l’Etat de mettre en place les institutions nécessaires notamment un centre d’aménagement linguistique et de réhabiliter, normativiser, promouvoir, développer, moderniser et diffuser la langue amazighe grâce aux médias et à l’édition.
Enseignée de manière obligatoire sur tout le territoire, Tamazight deviendra une force unificatrice qui rapprocherait les citoyens avec comme aboutissement un bilinguisme vrai au niveau national.
La diglossie et son idéologie s’atténueront progressivement avant de s’effacer pour permettre, de nouveau la fierté et la loyauté linguistique nécessaires à l’auto-valorisation.
La désaliénation et le recouvrement identitaire qui s’en suivront mettront fin au complexe du « minorisé ». De nouvelles représentations mentales, plus positives, se construiront et entraîneront de nouvelles attitudes et de nouvelles opinions valorisantes au niveau de tous les nationaux.
Chaque citoyen découvrira alors, une langue qui a capacité à véhiculer le savoir au même titre que n’importe quelle autre langue.
L’officialisation permet, également, de partager le pouvoir symbolique et donc de reformer les structures mentales pour proposer un autre regard sue le monde.
L’amazighisation de l’environnement, dés lors possible, permettra une meilleure implantation de la langue et donc une meilleure communication au niveau national et une vraie intégration citoyenne. La pluralité sera vécue sereinement et l’inter-tolérance prendra tout son sens. La cohésion nationale, La pacification de la société permettra, dés lors, d’éviter toute dérive séparatiste.
La fin de la domination d’une langue sur une autre mettra fin à la glottophagie et conséquemment aux conflits linguistiques.
Sur le plan linguistique, le statut de langue officielle assure une meilleure prise en charge de son aménagement et accélère l’unification de la langue, une nécessité avant toute diffusion.
Du point de vue de son usage social, ce statut lui permet de s’imposer, au même titre que l’arabe, à tous les citoyens comme langue légitime.
Sur le plan éducatif, l’enseignement sera obligatoire et sera dispensé sur tout le territoire national et à tous les nationaux.
Sur le plan historique, le statut de langue officielle implique la réécriture de l’histoire qui permet d’avoir un regard sur son passé tel qu’il a été et non tel qu’il est fabriqué avec pour conséquence la construction de mythes fondateurs propres. Une meilleure affirmation de soi nous éviterait, alors, de fonctionner aux marges de l’histoire.
Sur le plan économique l’officialisation du tamazight lui permettra de pénétrer le marché du travail et assurera le passage du tamazight langue « langue du cœur » au tamazight, « langue du pain ». Le fait d’accéder à des dividendes matériels et/ou symboliques est une motivation qui favorisera, naturellement, la transmission inter-générationnelle.
Sur le plan politique cette officialisation permet le partage du pouvoir jusque là monopolisé par la langue unique. En mettant fin à la légitimité d’une seule langue, on met fin à la pérennité des acquis de la classe dominante.
Le pouvoir de suggestion de la seule langue unique n’ayant plus court on prend enfin conscience qu’il ya d’autres choix que ceux imposés par elle.
En recouvrant la parole, les amazighophones deviennent à leur tour des acteurs actifs dans la société. Des citoyens, au sens plein, jaloux de leur langue et capables de rendre irréversibles les acquis et de mettre fin au danger d’extinction.
Ce statut a forcément une incidence pratique. Jouissant du même statut que la langue arabe (avec application d’un « coefficient de réparation historique » pour rattraper le retard), le tamazight doit bénéficier d’un certains nombre d’actions préalables avant l’introduction de la norme dans la pratique:
L’exigence d’un statut de langue officielle, seul à même de faire valoir ce qui est dit plus haut, n’est pas évidente. Les intérêts de la classe dominante sont d’une telle importance que la réponse est toujours inférieure à ce qui est attendu.
Cependant il faut savoir que lorsque les solutions nationales sont épuisées, il reste les textes internationaux qui sont, le plus souvent, paraphés par l’Etat mais qui demeurent lettre morte. Il est, alors, parfois nécessaire de recourir aux instances internationales et c’est la raison pour laquelle nous citons quelques déclarations, pactes ou résolutions
*La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
*Le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16-12-1966
*La résolution N° 47/135 du 18-12-1992 de l’ONU
*La déclaration universelle des droits collectifs des peuples, adoptée en mai 1990 à Barcelone (+++)
*Le rapport de la commission des droits de l’homme du conseil économique et social des nations unies du 20-04 1994 sur le texte de la déclaration des droits des peuples indigènes.
* Tous les nombreux textes concernant les droits des peuples autochtones
* charte africaine des droits de l’homme et des peuples
Il est bon de rappeler qu’en 1990 un département de tamazight a été mis en place à Tizi-Ouzou rapidement suivi d’un deuxième à Bejaia et qu’en 1995 le Haut Commissariat à l’Amazighité a été institué. Les premiers ont vu le jour par arrêté ministériel et le second par décret présidentiel.
Malgré tout, l’arabe et le tamazight ne jouissent pas des mêmes droits, les statuts octroyés privilégiant la première langue (arabe) aux dépens de la seconde (tamazight).
Les événements de Kabylie survenus en 2001 ont entraîné une grave crise politique. Pendant plus d’une année la population s’est mobilisée obligeant le gouvernement à faire réviser la constitution par le parlement contrairement au discours maintes fois ressassé qui faisait croire que pour les questions de cet ordre, seul le peuple est souverain et que lui seul pouvait décider par des élections au suffrage universel. Le vote parlementaire n’a fait, en réalité, que valider une décision politique prise par l’oligarchie au pouvoir. Un rapport de force s’était, en effet, installé à la fois au sein de la société et au sein du pouvoir.
L’article 3bis (08-04-2002) a donc été ajouté dans l’urgence pour accorder le statut de langue nationale au tamazight dans le but de pacifier une région qui pour la deuxième fois se trouvait dans un état pré-insurrectionnel (événement de 1980).
Même si ce statut a sérieusement entaillé la muraille idéologique solidement construite par un régime totalitaire, la reconnaissance n’est que très symbolique. Concrètement rien n’a changé. Toutes les activités sociales officielles se font dans la seule langue arabe si nous excluons la langue française qui demeure la langue de travail essentielle. Mis à part les quelques enseignements et les quelques panneaux en tifinagh, tamazight reste confinée dans la sphère privée.
L’alinéa 2 de ce même article relève de manière quasi explicite que la langue amazighe doit être appréhendée dans toutes ses variétés et suite logique, dite de manière implicite, c’est une langue non unifiée qui ne peut prétendre à une égalité de droit avec la langue arabe. Exit donc le statut de langue officielle.
Il faut ajouter qu’à ce jour aucune politique linguistique n’a été mise en place. On est dans une simple reconnaissance de type condescendante destinée à calmer les esprits.
La formulation même dans laquelle est rédigée l’article 3bis « tamazight est également langue nationale suppose une inégalité dans le traitement qui lui sera réservé. La constitutionnalisation n’est donc qu’un effet d’annonce en réponse à une conjoncture politique tendue.
Malgré tout, le tamazight s’en trouve valorisé et ses locuteurs retrouvent fierté et loyauté linguistique limitant de fait l’érosion que subissait la langue amazighe. L’arabo-islamisme jusque là hégémonique commence à être désigné du doigt (et pas seulement par les amazighophones). Les questions culturelles et identitaires sont largement débattues et portées sur la scène publique.
Tout cela n’est malheureusement que discours, même s’il est utile et important. Concrètement, les écoles continuent à enseigner le même programme avec ce que cela suppose comme falsification de l’histoire. Les mythes fondateurs de la nation demeurent ceux du monde arabo-islamique.
Les textes internationaux relatifs aux droits linguistiques et culturels, paraphés par l’Algérie, sont mis aux placards. La promesse maintes fois répétées par le président de la république pour la création d’une académie amazighe et d’un comité supérieur à l’amazighité 2007) pour remplacer le défunt HCA sont restées lettres mortes.
Ainsi, l’article 3bis qui est une indéniable , au plan symbolique, puisqu’il permet une revendication qui s’appuie sur la légalité (qui nous était interdite jusque là), n’a pas franchement répondu aux attentes. En aucun cas le statut de langue nationale ne peut remplacer celui de langue officielle. « Le discours juridique est une parole créatrice qui fait exister ce qu’elle énonce » P. Bourdieu
« Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire » disait André Laignel. Cette sentence résume à elle seule toute la problématique à laquelle est confronté le monde amazigh.
Malgré les indéniables avancées, l’Algérie continue houleusement à rechercher son identité. L’instabilité est quasi permanente et le tryptique (arabité, islamité, amazighité) consacré par la constitution n’a pas apaisé les passions et pour cause, tout dans la société exclu le troisième critère. L’administration, l’école, la mosquée, la caserne demeurent les lieux de propagande exclusive de l’arabo-islamisme.
Sur le plan linguistique, le statut de langue nationale n’a pas eu les effets escomptés. Paradoxalement, l’enseignement de la langue amazighe a terriblement régressé et le centralisme étatique n’en a cure. Seule importe la langue de et du pouvoir.
Du point de vue culturel tous les regroupements nationaux et internationaux tournent autour de l’arabité et de l’islamité. En dehors de quelques publications et de quelques activités associatives, aucune action n’est encouragée par l’Etat.
En fait, il n’y a de constitutionnel qu’une reconnaissance très symbolique qui n’a aucun impact concrètement.
Nous l’avons dit dans le corps de texte que seul le statut de langue officielle permettra de sauvegarder tamazight en tant que bien culturel universel et lui octroyer toutes ses fonctions, notamment celle ce la communication entre les nationaux et celle de la construction de l’identité collective.
Par Mouloud Lounaouci
Universitaire. Tizi ouzou. Algérie