Le prénom était toujours un champ de conflit idéologique et politique. Le fondateur de l’empire almohade Al-Mehdi ben Tumart a changé les prénoms de ses compagnons dans le cadre d’une idéologie politique très méthodique1 . Selon Al-Baidak, Ibn Tumart demanda à ses compagnons de changer leurs prénoms et d’adopter les prénoms « d’Assahaba » (les compagnons du prophète). C’est le cas de Faska l’un des premiers chefs guerriers almohade, qui a pris le prénom de Omar que lui a choisi Al-Mahdi ben Tumart2.
C’est ainsi que les prénoms amazighes commencèrent à décliner avec l’application de la politique salafiste des Almohades (11-12s) envers les prénoms, et qui n’a pris fin qu’avec l’époque des Mérinides (13-14s) dans laquelle ces prénoms ont connu un temps florissant. Ta3drit c’est le prénom donné par le Sultan mérinide Abou El-Hassan à sa fille ainée.
Le déclin des prénoms amazighes ne fait que continuer avec l’appariation du soufisme durant l’époque moderne, même si l’histoire n’a pas enregistré que ce dernier a mené une politique systématique d’arabisation des prénoms, comme c’était le cas des Almohades, et chez les idéologues du Mouvement du nationalisme après l’indépendance. Mais les gens continuèrent à suivre le modèle des prénoms des « Chorafa » (les Saints) en espérant avoir la baraka des « Chorafs » en choisissant les prénoms arabes à leurs enfants. Rajab a écrit que « Les prénoms des saints et des marabouts sont extrêmement fréquents dans le Maghreb. Chaque région est marquée en fait par ses saints locaux. Ces prénoms sont transmis aux familles fidèles qui les vénèrent »3 .
Toutefois le grand recul des prénoms amazighes commença avec la colonisation, l’instauration de l’Etat moderne et l’installation des bureaux de l’état-civil.
La politique de l’arabisation et de l’idéologie arabo-musulmane adoptée par les Etats de l’Afrique du nord depuis l’indépendance ont fait accélérer la domination des prénoms arabes. Le phénomène du nationalisme arabe qui a prédominé depuis les années soixante jusqu’aux années quatre-vingt-dix a profondément influencé les prénoms dans toute Tamazgha (Afrique du nord). Le prénom Nacer et Arafat comme symboles du panarabisme et de la libération, sont pénétrés dans les foyers maghrébins. Les gens emportés par la vague du nationalisme arabe investirent le champ des prénoms pour marquer leur attachement fort à la « nation arabe ».
Ainsi les institutions de l’Etat comme les mass-médias et l’enseignement ont été des moyens efficaces pour implanter les prénoms arabes. Les gens sont poussés à s’éloigner de plus en plus du choix des prénoms amazighes, ce qui est devenu presque un tabou.
S’ajoute à tout cela la gestion administrative des prénoms amazighes, choisie par le Maroc depuis l’indépendance qui n’encourage pas les gens à choisir les prénoms amazighes à leurs enfants, parfois les agents de l’état civil intimidèrent les gens qui se présentaient aux bureaux de l’état civil pour l’enregistrement de leurs enfants, et refusèrent simplement, sans aucune explication, d’enregistrer ces prénoms amazighes, et leur imposèrent des prénoms arabes.
Devant cette situation, les Etats de la région ont décrété des circulaires pour interdire l’enregistrement des prénoms amazighes. Au Maroc le ministre de l’intérieur a ordonné l’interdiction de ces prénoms en proposant seulement quelques uns dans une liste bien définie. Les gens qui s’attachent à leur droit du choix des prénoms à leurs enfants font appel à la justice. Plusieurs prénoms ont été enregistrés après le procès du tribunal.
Les organisations de la société civile amazighe ont porté le problème jusqu’aux bureaux des instances onusiennes, qui ont demandé aux gouvernements de la région de respecter leurs engagements des droits de l’Homme. Le Maroc a retiré la circulaire ministérielle qui interdit les prénoms amazighes en décrétant une autre plus favorable et plus rationnelle, autorisant l’enregistrement des prénoms amazighes, mais l’application de cette notre ministérielle n’est pas toujours respectée par les agents de l’état-civile qui gardent encore la méthode ancienne. Il fallait toujours que les associations fassent des communiqués pour que la situation se débloque.
Dr. Handaine Mohamed
1 Al-Baidak Abou Baker Assanhaji : Akhbar Al-Mahdi ben Toumart. Ed. Dar Al-Mansour, Rabat, 1971
2 Ibid, p, 37.
3 Riad ben Rajab : Op.Cit.