L’alliance des écrivains en amazighe, Tirra, organisa, le 21 aout 2010 au musée du patrimoine amazighe à Agadir, une table ronde autour de l’expérience romanesque amazighe, le cas de Igdad n Wihran (les oiseaux d’Oran)(2010) de Lahoucine Bouyaakoubi. Les intervenants Abdelouahab Bouchtart, Mohamed Akounad, Lahcen Zaheur et Mohamed Oussous traitèrent les différents aspects ayant relation avec le roman amazigh en général et Igdad n Wihran en particulier.
Pour Abdelouahab Bouchtart, membre du bureau de Tirra, le roman (appelé ungal en amazighe) est un genre littéraire nouveau dans la culture amazighe. Son apparition est liée aux transformations que connait cette culture, depuis quelques années, notamment le processus du passage de l’oralité à l’écrit. De ce fait, écrire un roman ne peut se faire que par un lettré, ayant une formation scolaire. Dans l’absence d’un cursus scolaire amazighe, la formations des auteurs, faite dans d’autres langues, arabe ou française, influe les romans en amazighs. Une traduction des expressions se fait automatiquement de la langue de l’école à la langue amazighe écrite. En tant que genre littéraire nouveau, il faut trouver un terme amazighe pour le désigner. Le mot ungal, dérivé du terme touareg tungalt (De Foucauld, 1951) fut adopté pour la première fois par les Kabyles pour être l’équivalent du mot français « roman ». Or ce même mot, ungal, signifie en amazighe du sud-est marocain le noir. Ce qui peut mener à une petite confusion. L’intervenant note l’importance de la production des romans chez les Kabyles (35 romans), alors qu’au Maroc, Igdad n Wihran est le 16ème. Ces derniers varient selon les thèmes abordés (identité, émigration, valeurs, problèmes sociaux…), les espaces des événements (monde rurale, monde citadin) ou le niveau de la langue utilisée (Proche du quotidien (vernaculaire) ou tendant à « standardiser ».
Après cette introduction générale sur le bilan de la production romanesque en amazighe, Mohamed Akounad, poursuit la discussion pour traiter un aspect bien précis dans le roman de Lahoucine Bouyaakoubi. Il s’agit de la présence du thème de l’identité et comment le romancier la présente. Pour l’auteur de tawargit d imik (rêve et un peu plus)(2002) et ijjign n tidi (fleurs de la sueur) (2007), l’identité est un thème qui traverse tout le roman. Elle se présente comme souci majeur qui habite l’auteur depuis son départ de la ville d’Inezgane (sud du Maroc), dans ses contactes et discussions avec d’autres voyageurs, jusqu’à son arrivée en France. Idder, le personnage principal du roman, se présente sous forme d’un jeune amazighe, conscient de son amazighité qui voyage pour finir ses études en France. Tout au long de son trajet, il essaya sans faille de faire convaincre les autres (Saïd, Mélanie, Dda Mhend…) de la légitimité de sa vision à son identité amazighe. Entre une vision traditionnelle à l’identité amazighe (Dda Mhend), une vision exotique (Mélanie) ou l’indifférence totale (Saïd), Idder, par sa conscience moderne à l’amazighité, se trouve tiraillé entre les différentes visions. L’intervenant conclu par remarquer que le romancier (consciemment ou inconsciemment) est pessimiste au sujet de l’avenir de l’amazighe, vu qu’il n’a réussi à convaincre aucun parmi ses compagnons de la légitimité de son regards à son amazighité. Ces personnages furent analysés plus profondément par Lahcen Zaheur, écrivain et auteur de Muziya (1996) et amussu n umalu (mouvement d’ombre) (2008). Il met l’accent sur la fluidité de la langue employée par l’auteur d’Igdad n Wihran, la beauté du style et surtout l’absence d’une chronologie des événements. L’auteur traverse les espaces entre le Maroc et la France et passe d’un temps à l’autre par des flache-bak qui classe le roman de Bouyaakoubi dans la catégorie du new-roman.
Mohamed Oussous, l’auteur d’Ixfawen d isasan (tête et toile d’araignée) (2006) et de Tagldit n tiggas (Royaume des cicatrices) (2009) était le dernier intervenant de cette rencontre. Sa contribution tenta de présenter un essai d’interprétation des événements de ce nouveau roman. Pour Oussous, Igdad n Wihran se classe parmi les romans de civilisation ou « roman ‘’civilisationnel’’ ». Sa thématique centrale se focalise autour du conflit de civilisations entre le sud et le nord de la méditerranée, entre le Maroc et la France en particulier. Paradoxalement, la France qui est vue comme ancienne colonisatrice, infidèle et ennemie de l’islam se présente aussi comme lieu de toutes les aspirations. Il remarqua que cette Europe, comme dans le deuxième roman d’Akounad, est toujours présentée par une femme. La symbolique de la femme reflète une volonté de réapproprier le corps de la femme. Changer le prénom de la Française de Mélanie au nom amazighe Timilla montre la volonté de l’auteur de la faire intégrer dans son univers culturel, autrement dit de la dominer. De ce fait, l’autre (par nature différent) ne peut être accepté que s’il accepte d’être identique à nous. La relation amoureuse entre Idder et Mélanie résume l’ambivalence des rapports nord/sud, entre la possibilité du contacte et l’amour impossible bloqué par les différentes représentations que chacun a développées sur l’autre.
Les voyageurs du car (bus) qui transporte Idder vers la France sont multiples idéologiquement. Entre amazighiste, islamiste, ou panarabiste, entre homme, femme ou enfant, tout le monde se dirige vers l’Europe. Ce voyage du sud vers le nord, entrainera un contacte des civilisations qui ne peut passer sans provoquer des chocs. Ces derniers sont présentés par les différents accidents qui se sont survenus tout au long du voyage, commençant par les différents accidents du car jusqu’à la tempête qui a failli mettre en péril le bateau et ses passagers traversant la méditerrané vers l’Espagne. Le grave accident qui a eu lieu en Espagne, causant le détachement du chariot du bus plein de produits exotiques, d’insectes et plantes ‘’primitives’’, est interprété par Oussous par l’impossibilité d’atteindre la modernité sans se débarrasser de l’héritage culturel bloquant cet accès.
Les quatre interventions ont offert au public présent l’occasion d’approfondir le débat sur le roman amazigh et l’apport d’Igdad n Wihran. Une question revient souvent. Dans le cas d’Igdad n Wihran, s’agit-il d’une autobiographie, d’un roman autobiographique, d’une littérature de l’émigration ou d’un récit de voyage. La langue de l’écrit fut aussi discutée. Doit-elle être proche du vernaculaire, tolérante envers les emprunts, sans submerger le texte par la néologie ? Ou bien, le texte littéraire est forcément un texte appartenant à une culture savante, et de ce fait, l’amazighe doit avoir sa culture écrite savante, que le lecteur doit chercher à l’atteindre. Le débat était constructif annonçant le début des prémices d’une étape de la critique littéraire amazighe.
Par Amazighnews