Disons d’emblée que faire un livre en journalisme amazigh, tout en sachant rester modeste, est en lui-même un défi. Simplement parce que la langue amazighe manque, hélas, à une tradition propre dans ce domaine. Il faut donc commencer quasiment ex nihilo. Que nos amis amazighs soient rassurés, leur langue n’est pas la seule à souffrir d’un tel retard. Il y en a d’autres. Même parmi les mieux loties. Parfois des langues institutionnelles pourvues d’énormément de liberté pour leur propre épanouissement, de moyens financiers énormes avec, en plus, un indéfectible soutien étatique. En fait, tout ce qui fait désespérément défaut à notre langue amazighe si farouchement indomptable, mais terriblement menacée de toutes parts.
Dans ce tableau que je viens de vous brosser, succinctement, il y a deux exceptions proéminentes : il s’agit bien naturellement des deux langues de Molière et de Shakespeare- l’allemand ne doit surtout pas être pas oublié, mais je ne le connais pas malheureusement. Comme vous le savez tous, ces deux dernières ont été à l’origine d’une immense tradition journalistique. Ce qui est somme toute logique. Car c’était parallèlement en France et en Angleterre -les États-Unis ont pris par la suite le flambeau- que la révolution industrielle a vu le jour avec tout ce qui allait avec comme production symbolique : la littérature, la philosophie, le cinéma, ... et bien évidemment le journalisme.
Bien plus, l’on peut même parler d’une langue journalistique propre dans le cas de l’anglais et du français ou du moins d’un registre journalistique quasiment autonome. Tellement une pratique journalistique sur une très longue durée a eu pour effet la production d’un langage médiatique des plus sophistiqués avec ses mots, ses expressions, ses codes, ses propres règles et ses tares aussi. Un langage qui est très répandu du fait de sa présence quotidienne dans les médias de masse. En fait, il est ipso facto l’un des jargons linguistiques les plus pratiqués et les plus écoutés dans le monde. Si l’on peut le considérer comme une langue à part, comme certains n’hésitent pas à le suggérer, l’on dirait volontiers que c’est l’une des langues les plus utilisées et les plus répandues sur la planète terre.
Il va de soi donc que, pour rédiger ce très modeste ouvrage, mes références soient principalement françaises et anglo-américaines- mais pour écrire ce texte, je n’ai utilisé que le français en raison de son accessibilité pour une grande partie d’Amazighs. D’autant plus que le français et l’anglais sont les principales langues que je connais et que je pratique presque quotidiennement. Ainsi, j’ai rassemblé, autant que faire se peut, énormément de mots, d’expressions et de formules utilisés quotidiennement dans les médias avec, à chaque fois, plus d’une traduction. Mon but est de donner, pour la première fois, un outil assez complet - enfin, c’était mon objectif principal- qui va aider le journaliste amazigh à faire son travail du mieux qu’il peut. Ou du moins l’inspirer et pourquoi pas provoquer en lui d’autres idées peut-être plus intéressantes, plus attrayantes, et surtout, plus appropriées. En tous les cas, j’espère sincèrement que ce soit le cas.
En fait, il faut savoir qu’il ne suffit pas d’avoir l’amazigh comme langue maternelle pour bien s’y exprimer et ainsi la manier avec beaucoup d’aise et autant de dextérité. Hélas, et c’est facilement constatable, dans les médias marocains et algériens, il suffit de le baragouiner un tant soi peu pour que certains s’improvisent du jour au lendemain journalistes. Je sais que c’est voulu. Et même prémédité par les régimes fondamentalement et foncièrement anti-amazighs en place. Pour eux, apparemment, il faut toujours que la médiocrité soit ad vitam aeternam le propre de l’amazighité. Pire, il doit même en être le synonyme éternel. Jusqu’à quand cette malheureuse situation va-t-elle durer et perdurer ? Nul ne le sait. Parions donc sur un miracle pour que ça change à défaut d’un sursaut populaire !
En réalité, si l’on exige des gens qui s’expriment excellemment bien en français et en arabe pour pouvoir espérer exercer dans les médias – publics au moins-, en leur passant des tests de compétence de toutes sortes, seul l’amazigh, hélas, est ouvert à tout le monde. Et je ne raconte aucunement d’élucubrations. Car nous en avons la preuve la plus indiscutable dans l’enseignement amazigh au Maroc. Il faut savoir que des gens, de l’aveu même des responsables de l’IRCAM, qui ne parlent pas un traitre mot de cette langue sont devenus, par miracle, du jour au lendemain, ses enseignants attitrés. Incroyable, mais on ne peut plus vrai. Au Maroc, comme le dit si bien un très fameux adage, il ne faut jamais s’étonner de rien. Passons !
Par ailleurs, en quoi consiste ma méthode dans la réalisation de cet ouvrage ? Tout d’abord, il faut que je précise que je ne suis pas là pour standardiser la langue amazighe. Ce n’est absolument mon but et encore moins mon souhait. Car il y a mieux pour le faire : l’U-S-A-G-E. Pas plus pas moins. L’on aura beau décider que c’est tel ou tel mot qui doit être utilisé pour exprimer telle ou telle situation, si l’usage ne suit pas, tous nos efforts individuels et même institutionnels seront vains.
D’autant plus que la mentalité amazighe, réfractaire par nature à toute autorité tutélaire ou à toute attitude arrogante- par nature toute autorité est arrogante, ce qui est encore plus vrai avec les régimes anti-démocratiques au pouvoir en Afrique du Nord-, n’aide pas. Pire, et je pense que vous devez certainement le remarquer, beaucoup d’Amazighs font la leur : s’opposer rien que pour le plaisir de s’opposer. Même dans les choses les plus futiles, les plus insignifiantes, les plus creuses. Et je vous laisse imaginer quelle serait leur attitude par rapport à une question extrêmement sensible et d’une importance capitale : leur langue et leur culture.
Ayant tout cela présent à l’esprit, j’ai décidé de donner à chaque expression plusieurs traductions. En ne m’enfermant jamais dans mon tachelhit maternel. En fait, j’ai essayé, autant que faire se peut, de survoler pratiquement tous les parlers amazighs. Sans aucun a priori et sans préférence aucune. Malgré cela, mon travail peut paraitre pour certains en deçà de leur attente parce que trop ethnocentriste avec un tas d’approximations et même pas mal d’erreurs- même si tout est longuement et scrupuleusement réfléchi.
Je ne pourrais que souscrire à une telle remarque. Car la langue amazighe comme dirait, Mohamed Tayeb Souiri, qui travaille sur un dictionnaire depuis près de 40 ans, est un océan quasiment infini. Car elle est pourvue – et j’en sais quelque chose personnellement, car cela fait 20 ans que je glane doucement, mais sûrement le vocabulaire amazigh- d’une richesse lexicale formidable avec un nombre incalculable de nuances. En fait, la langue amazighe est essentiellement affaire de nuances- beaucoup plus que certaines langues qui se targuent d’en avoir le monopole. Atteindre dans ce contexte la perfection ou même la frôler est franchement une tâche impossible.
En fait, mon ouvrage, et il faut savoir toujours rester modeste, est juste une première pierre dans un édifice qui a besoin de tous les soutiens. Il faut donc que les autres Amazighs se retroussent les manches et participent à l’enrichissement de leur propre langue en y produisant le plus possible. Il ne faut jamais rester les bras croisés et attendre des institutions officielles ou officieuses qu’elles fassent le travail qui est le nôtre, nous, les Amazigh lambda. Car je crois fermement dans l’idée que c’est l’accumulation qui produit, in fine, la qualité. J’en veux pour preuve le cinéma amazigh. À ses débuts, il était très médiocre, sauf quelques petites exceptions. Certains Amazighs s’en offusquaient même. Pire, ils en avaient même honte. Mais jetez-y un coup d’œil maintenant pour voir l’excellent niveau artistique et technique qu’il a atteint. Avec juste des moyens de bord, sans le soutien de quiconque et sans aucun tapage médiatique ou autre.
Par ailleurs, est-ce que je compte m’arrêter à ce travail ? Non, bien sûr. Je suis déjà en train de préparer un dictionnaire médiatique complet. Et là je dois impérativement signaler le travail fait précédemment par l’IRCAM qui est à saluer. Sincèrement. Malgré le fait qu’il soit préparé, semble-t-il, dans l’urgence, il contient de très bonnes choses. Espérons qu’il y en aura d’autres non seulement de la part des institutions- comme l’IRCAM-, mais aussi de personnes animées seulement et uniquement par l’amour de la langue et de la culture amazighe. N’en déplaise à certains, l’histoire nous apprend que, souvent, dans le cas de la langue amazighe, ce sont des individus, parfois travaillant seuls, isolés même, inconnus du grand public, qui font d’excellentes choses. Et même parfois des miracles. Jouhadi, Souiri, Azaykou, Mammeri et Chafik sont de parfaites illustrations de ce phénomène on ne peut plus amazigh.
Pour conclure, je le dis et je le répète une fois de plus, c’est l’accumulation de travaux, sur tous les sujets, quelle que soit leur qualité, qui seront à même de permettre à la langue amazighe d’atteindre l’excellence. Il faut donc dépasser illico presto nos inhibitions et se lancer dans l’écriture. À corps perdu s’il le faut. Car, hélas, je ne connais pas d’autres moyens plus efficaces pour sortir de l’ornière une langue. Surtout dans le cas de l’amazigh qui en a tellement et urgemment besoin. À vos plumes donc, il n’y a que cela de vrai !
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Lahsen Oulhadj Montréal-Toronto (Canada)