A l'occasion du 30ème anniversaire du Printemps berbère, nous reproduisons l'interview de Ferhat Mehenni. Fondateur du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie « La cause berbère n’est plus de saison » parue dans le numéro spécial de la revue d' El Watan du Vendredi 16 avril 2010, 30ème anniversaire du Printemps berbère, il est interrogé par LamiaTagzout.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le militantisme pour la cause berbère ?Revendiquer tamazight en 2010, c’est n’avoir rien compris à la marche de l’histoire et à celle de la Kabylie. Le militantisme d’aujourd’hui pour la cause berbère est celui de la 25e heure. Il n’est plus de saison. La revendication a changé de registre et de nature. Elle est passée du domaine strictement culturel à celui de la politique culminant dans la notion de peuple kabyle et des droits qui y sont associés. Certains voudraient bien nous voir cantonnés dans cette nébuleuse amazighe où nous nous enlisons d’année en année.
Pour autant, il est hors de question pour nous tous de renier le combat mené pour la cause amazighe. Il était d’un courage et d’une détermination époustouflants. Je saisis cette opportunité pour rendre hommage à tous ses héros et ses millions d’anonymes, ses blessés, ses emprisonnés, ses torturés et ses morts... Il était une étape que l’histoire et l’altruisme naturel des Kabyles nous ont imposée pour aboutir à la revendication autonomiste que nous portons depuis 2001. Si je suis fier d’y avoir apporté ma modeste contribution, je suis content aujourd’hui de l’avoir dépassée.
Ne craignez-vous pas que la jeune génération ne puisse prendre la relève ? J’ai confiance en l’avenir, car j’ai confiance en notre jeunesse. Elle qui a affronté à mains nues les balles assassines des gendarmes en 2001, elle qui continue de résister contre les assauts de notre aliénation et de notre dépersonnalisation, elle qui se méfie de la drogue et du mensonge, ne peut que forcer mon admiration et mon respect pour elle. La nouvelle génération kabyle est en train de nous arracher le flambeau de nos mains vieillissantes pour le porter dans les leurs plus vigoureuses et plus sûres.
Quelle est l’audience réelle du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie parmi les jeunes qui ne semblent pas trop s’intéresser à la politique ? En Kabylie, la politique est une seconde nature. Il me semble que, plus que par le passé, les jeunes Kabyles s’intéressent à l’avenir de leur première patrie : la Kabylie. Le MAK les respecte et leur donne la vigueur de s’exprimer avec la force et le talent dont eux seuls ont encore le secret. Malgré les tentatives permanentes du pouvoir de les détourner de leur « kabylité », par les matchs de football de l’équipe algérienne, l’idéologie islamiste envahissante à travers l’école, la télévision et les mosquées, la drogue et la corruption, elle reste saine et plus que jamais consciente de ses droits et de ses devoirs. Ils sont rares les peuples qui ont une jeunesse aussi consciente que la nôtre. Elle nous en a fourni la preuve lors de la marche du MAK, le 20 avril 2009, et elle nous en fera une démonstration encore plus éclatante mardi prochain à Vgayet, Tuvirett et Tizi-wezzu.
Quels sont les écueils rencontrés par vos militants, concrètement, sur le terrain ? Il y a les difficultés dues, en premier lieu, à la désinformation par laquelle beaucoup d’acteurs politiques ont essayé de nous diaboliser auprès des Kabyles. Elles sont aujourd’hui largement surmontées. Depuis trois ans, nos militants sont victimes de harcèlement policier. Ils ne sont pas du genre à se laisser intimider. L’administration recevant ses ordres d’Alger fait pression sur les élus afin de nous refuser les salles et les places publiques pour nos conférences et nos meetings. Nous sommes la seule organisation dont les militants sont arrêtés en train d’afficher. Nous n’avons pas de locaux et sommes dépourvus d’argent. Toutefois, nous avons bien mieux : la confiance, le respect et l’adhésion du peuple kabyle à notre démarche, la conviction que nous sommes dans la vérité et le droit, la volonté et la détermination d’aller de l’avant pour que la Kabylie soit un espace de liberté et de démocratie, du développement socioéconomique, du rayonnement identitaire kabyle, et enfin, la patrie protectrice du peuple kabyle et des droits humains.
Le Mouvement culturel berbère a connu une évolution dans son parcours. Cet appareil pourrait-il porter encore le combat identitaire ? Le Mouvement culturel berbère est mort et enterré un certain printemps noir 2001. L’acte de naissance des Aârouch était en même temps l’acte de décès du MCB. Nous l’avions déjà annoncé dans la déclaration du 5 juin 2001 par laquelle nous avons revendiqué, pour la première fois de notre histoire, une autonomie régionale. Pour les fétichistes des sigles, rappelons que pour chaque combat, la Kabylie s’est donné un sigle porteur. C’était l’Etoile nord-africaine en 1926, le PPA puis le MTLD et enfin le FLN de la guerre d’indépendance. Depuis 1962, elle s’est donné pour cadres d’action le FFS en 1963, le MCB à partir de 1980, avec ses chapelles FFS et RCD de 1989 à 2001, le mouvement des Aârouch et aujourd’hui le MAK. C’est ce dernier qui assure le rôle de fédérateur et de mobilisation. Nos sigles ainsi reconstitués sont les éléments d’une chaîne historique ininterrompue du combat kabyle pour la liberté, la démocratie et la justice.
Qu’en est-il de l’enquête concernant la mort de votre fils ?
Officiellement, l’enquête sur l’assassinat d’Ameziane est toujours en cours. Pour autant, dès 2005, soit une année seulement après son ouverture, j’ai refusé la proposition du juge d’instruction de la clôturer, ne serait-ce que de manière administrative. A ce jour, je n’ai pas l’impression qu’elle ait progressé d’un iota. Tant qu’on persiste dans le déni de l’assassinat politique, l’enquête n’aboutira pas. J’ai la ferme conviction que c’est du côté des adversaires de mon combat pour l’autonomie de la Kabylie qu’il y a lieu de chercher assassins et commanditaires.
Si c’était à refaire, en dépit des épreuves que vous avez vécues, seriez-vous capable de reprendre le chemin du militantisme ? Je suis fier de mon combat et si c’était à refaire, devrais-je y laisser la vie, je reprendrais le même chemin. Les épreuves sont le lot de tout combat pour la liberté. Celle-ci a un prix que seuls des caractères trempés sont capables de payer. Vous savez, les individus ne sont pas égaux devant les épreuves. Il y a ceux qui y succombent et ceux qui y résistent. J’ai eu la chance d’en triompher.
Pensez-vous que le printemps berbère et le printemps noir puissent se reproduire un jour ? Je pense que la Kabylie se rebellera aussi longtemps qu’elle ne verra pas ses revendications du moment satisfaites. Nous l’avons vue à l’œuvre contre le colonialisme français, nous l’avons vue contre la domination qu’elle subit depuis l’indépendance de l’Algérie. Elle n’aura de cesse de se démener tant qu’elle ne recouvrera pas la maîtrise de son destin par elle-même. Le prochain printemps est imminent. Il ne sera ni berbère ni noir. Ce sera enfin, le printemps kabyle.
Par LamiaTagzout | El Watan