Le ministre de l’intérieur a introduit le 6/08/2007, une requête devant le tribunal administratif de Rabat, en vue d’"annuler et dissoudre" le Parti Démocratique Amazigh Marocain (PDAM). Pour des raisons inconnues, les responsables du PDAM n’ont été informés de ce recours en annulation que le 20/11/2007, par un courrier les convoquant à l’audience du 13/12/2007.
Le ministre de l’intérieur assigne les dirigeants du PDAM en justice pour non-respect de l’article 4 de la loi 36-04 qui stipule que "est nulle et de nul effet, toute constitution de parti politique fondée sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale, ou d’une manière générale, sur toute base discriminatoire ou contraire aux droits de l’homme". Les motifs invoqués sont : la dénomination du parti qui inclut le terme "amazigh", le fait qu’un de ses objectifs soit de faire reconnaître "azref", le droit coutumier amazigh, le fait que le PDAM ne représenterait qu’une "frange" des citoyens marocains et les déclarations de son secrétaire général, jugées non conformes à la loi.
Sur la forme juridique de la saisine, les avocats du PDAM apporteront certainement la démonstration de la nullité de cette requête.
Concernant les questions de fond, il est d’abord nécessaire de rappeler les pressions, les obstacles, les interdits et mêmes les violences que les membres du PDAM ont enduré depuis l’idée même de créer ce parti. Il est également utile de préciser que le PDAM est certainement le seul parti à avoir eu besoin de recourir à un huissier de justice pour déposer son dossier au ministère de l’intérieur et que les autorités locales refusent toujours de légaliser ses sections dans plusieurs localités du pays. C’est aussi le seul parti à avoir subi des tentatives de sabotage de son premier congrès, par les services du ministère de l’intérieur, en février 2007 à Marrakech.
Pendant que les autres partis politiques bénéficient des infrastructures et des subventions publiques, le PDAM subit les intimidations et les entraves. C’est cela qui est illégal, injuste et particulièrement discriminatoire.
Sur le prétendu non-respect de l’article 4 de la loi 36-04, rien dans les statuts, le règlement intérieur, le programme politique ou les déclarations publiques du PDAM, ne stipule, ni même ne fait allusion au caractère linguistique, ethnique ou régional du parti. Ses statuts annoncent clairement "les principes de l’humanisme, de la démocratie et de la tolérance. Le parti démocratique amazigh marocain a l’intention de contribuer au processus de la transition démocratique et de rompre avec la période de la personnalisation du pouvoir et de la violation des droits de l’homme, en se référant de manière à concilier l’identité amazighe et l’ouverture sur l’universalité des droits et des libertés, en vue de construire un Maroc multiple, uni et fédéré en régions" (article 1).
Sur le plan linguistique, le PDAM est celui qui respecte le mieux la diversité linguistique du Maroc puisque dans ses documents comme dans ses réunions et ses déclarations, l’arabe, le français et Tamazight sont utilisés en toute liberté et sans exclusive. La réalité est que les Amazighs sont à ce jour privés de leurs droits fondamentaux, comme le droit à leur langue et à leur culture, mais aucun parti politique n’avait jusque-là intégré dans son programme la défense de ce droit spécifique aux Amazighs. En créant le PDAM, les membres de ce parti n’ont fait qu’essayer de réparer une injustice et d’exercer leur rôle citoyen, celui de permettre l’expression des exclus du système politique marocain, les sans voix, les sans représentants, les sans statut, les sans droits.
Les autres partis politiques, notamment l’Istiqlal, le PJD et l’USFP sont fondés exclusivement sur l’arabité et l’islamité et excluent de facto les marocains qui ne comprennent pas l’arabe. Ce sont donc ces partis qui se revendiquent clairement comme étant des partis arabistes et islamistes, qui devraient tomber sous le coup de l’article 4 de la loi 36-04.
Sur l’accusation de régionalisme, le PDAM est un parti à vocation nationale et bien que très jeune, il a des membres et des sections dans toutes les régions, du nord au sud du pays : Rif (nord), Atlas (centre) Souss (sud) et les grandes villes (Tanger, Nador, Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir…).
En revanche, il existe des partis politiques au Maroc qui ne comptent que quelques centaines de membres, issus de 4 ou 5 villes du pays. Ces partis sont légalement reconnus et siègent même au Parlement.
Sur le prétendu caractère ethnique du PDAM, dans ses statuts et son programme politique comme dans ses actes et ses déclarations, ce parti montre qu’il est ouvert à tous les marocains et marocaines. Et dans la mesure où le Maroc est un pays amazigh, les marocains sont ethniquement, dans leur écrasante majorité, des Amazighs, dont une partie a été arabisée. C’est la raison pour laquelle l’"amazighité" n’est en aucune manière comprise ni déclinée sous son angle ethnique, mais en tant que civilisation et projet sociétal démocratique, laïque, respectueux de tous les droits humains, favorable à l’amitié entre les peuples et ouvert sur l’universel.
Mais la grande majorité des partis politiques marocains (dont l’Istiqlal, le PJD, l’USFP) prônent clairement l’idéologie panarabiste et islamiste qui vise à effacer tout ce qui n’est pas arabe au Maroc et à rattacher ce pays au Moyen-Orient arabe, "la mère patrie". Les panarabistes se servent du prosélytisme islamique pour faire disparaître la diversité afin de régner sans partage. Ce sont eux qui, dans le gouvernement et le Makhzen (l’administration), veillent à falsifier l’histoire et la toponymie, à interdire les prénoms amazighs, à faire obstacle à l’enseignement de la langue amazighe et à empêcher les programmes en Tamazight dans les médias publics. Il est alors légitime de demander pourquoi ces partis qui instrumentalisent une langue et une religion, soit pour accéder au pouvoir, soit pour le conserver, ne sont pas inquiétés par le ministère de l’intérieur ? Pourquoi les hommes politiques marocains et leurs partis qui se définissent comme des Arabes, qui déclarent appartenir à la "Oumma arabia" (la nation arabe) ne sont pas déclarés hors-la-loi ? Pourquoi les marocains qui se définissent comme des Arabes auraient-ils le droit de créer des partis politiques et pas les Amazighs ?
Si le PDAM ne représente qu’une frange des citoyens marocains, alors n’est-ce pas le cas de tous les partis politiques ? A titre d’exemple, votre parti, l’Istiqlal, M. le Premier Ministre, bien qu’arrivé en tête des élections législatives de septembre 2007, il n’a obtenu que 10,7% des suffrages exprimés, soit moins de 500000 votants.Sur les 15 millions d’électeurs marocains et compte tenu du taux d’abstention de 63% et de un million de bulletins nuls (chiffres du ministère de l’intérieur), l’Istiqlal ne représente donc qu’une "frange" de moins de 4% de la population.
Ce sont ces chiffres et le taux d’abstention record aux dernières législatives et par conséquent le discrédit qui frappe la classe politique actuelle dans son ensemble qui devraient susciter des inquiétudes sur l’état de la démocratie au Maroc et non pas le PDAM, à moins de voir l’émergence de ce dernier comme une menace à l’ordre politique établi et aux privilèges matériels qu’il distribue à ceux qui en font partie.
Sur la revendication de ce que la législation marocaine doive s’inspirer de "azref", le droit coutumier amazigh, il importe de préciser que cela n’est pas seulement une exigence du PDAM, mais de l’ensemble des organisations de la société civile amazighe. La nécessaire reconnaissance et le respect du droit coutumier amazigh est d’une légitimité aussi incontestable que la reconnaissance du statut de langue officielle pour Tamazight.
Et il incombe à l’Etat marocain, conformément au droit international et en particulier à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, de prendre toutes les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour garantir la protection et la promotion de la langue et des valeurs civilisationnelles amazighes du Maroc. Cela permettrait d’éviter par exemple que des lois de l’époque du protectorat français soient utilisées encore aujourd’hui, pour exproprier les paysans amazighs.
C’est le sens que nous donnons aux discours du trône en 2001 et à celui d’Ajdir en 2002, dont l’essence était de réhabiliter l’amazighité du Maroc.
Il s’agit là de faits réels et concrets qui prouvent que le PDAM n’enfreint nullement les principes universels de la démocratie et des droits humains mais au contraire, sa présence et son action favorisent l’exercice de la citoyenneté, les libertés, l’égalité et l’épanouissement de tous les marocains et particulièrement les exclus du système politique actuel.
La loi 36-04 du 14/02/2006, prévoit dans son préambule de "promouvoir les droits de l’homme et de tourner définitivement la page du passé afin de préserver la dignité, rendre justice aux ayants droit et renforcer l’unité nationale".
M. le Premier Ministre, la société a besoin d’actes concrets sans lesquels ni la crédibilité, ni la confiance ne peuvent se construire. Et en l’occurrence, ce n’est sûrement pas en excluant Tamazight du champ politique, en jetant en prison les jeunes du mouvement culturel amazigh, en pratiquant les discriminations anti-Amazighs ou en harcelant les défenseurs des droits de l’Homme que votre gouvernement contribuera à rendre justice ou à renforcer "l’unité nationale".
En conclusion et conformément aux obligations et aux engagements internationaux du Maroc en matière d’état de droit et de respect des droits de l’Homme, le Congrès Mondial Amazigh attend de vous, M. le Premier Ministre, des mesures urgentes pour :
- Mettre un terme à l’action en justice engagée par le ministre de l’intérieur contre le Parti Démocratique Amazigh Marocain,
- Libérer tous les détenus membres du mouvement culturel amazigh et leur accorder des réparations pour les préjudices subis,
- Mettre un terme aux poursuites judiciaires engagées à l’encontre de M. Abdelaziz Elwazani, ainsi que tous les défenseurs des droits humains,
- Mettre un terme au racisme et aux discriminations institutionnels anti-Amazighs,
- Mettre en application les recommandations du Comité des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de racisme et de discrimination raciale (2003) et du Comité pour les droits économiques, sociaux et culturels (2006),
notamment celles de "consacrer dans la Constitution, la langue amazighe comme une des langues officielles, créer des programmes d’alphabétisation en langue amazighe, accorder un enseignement gratuit en langue amazighe à tous les
niveaux et garantir pleinement à la communauté amazighe son droit d’exercer sa propre identité culturelle".
Je vous remercie de votre attention.
Belkacem Lounes
Président du Congrès Mondial Amazigh
Paris, le 30/11/2007