Beaucoup de choses ont été dites sur les événements qui ont ensanglanté dernièrement les universités marocaines. Mais aucun journaliste marocain n’est allé faire son travail, à savoir enquêter sur place pour comprendre les tenants et les aboutissants de ces conflits.
On se contente alors de répéter à souhait des rumeurs, des
qu’en-dira-t-on et des préjugés pour uniquement salir les Amazighs et
leur combat. Le témoignage de Nazih Berkan, qui a longuement parlé de son emprisonnement avec son ami A. El Massaoudi, vient apporter la preuve irréfutable que ce sont les jeunes étudiants amazighs qui sont les victimes d’agresseurs connus depuis toujours pour leur barbarie et leur haine féroce de tout ce qui est amazigh.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Nazih Berkan. Je suis né le 6 février 1884 à Tinghir, province de Ouarzazate. Je suis le petit-fils du résistant nationaliste, bien connu dans notre région, Houssa Bakki, et fils de l’une des victimes des années de plomb (1963-1973). Je suis en 3e année d’histoire à l’université d’Agadir. Quant Abdelkrim El-Massaoudi, il est n né en 1985 à Aït Ttalb non loin d’ El-Khemis n Dadès dans la province de Ourazazate. Pour ce qui est de ses études, il est en 1ère année de géographie.
Quand et comment vous a-t-on arrêté ?
Nous avons été arrêtés par la police du Makhzen le 8 février 2007, devant le portail de l’université pour moi, Nazih Berkan, et au centre de Dakhla- un quartier d’Agadir- pour A. El-Massaoudi. Ces arrestations, faut-il encore le rappeler, ont été totalement arbitraires et fondamentalement illégales. En fait, nous avons été mis aux arrêts juste parce que nous sommes amazighs. Ce qui en dit long sur les intentions hideuses du Makhzen envers les Amazighs.
Que s’est-il passé ensuite ?
Nous avons été emmenés directement au poste de police, et déjà dans le chemin nous avons été l’objet de toutes sortes de violences et d’insultes haineuses ( fils de putes, juifs, sionistes, sales Chleuhs, criminels, « grabz* », sales puants, singes…). En tout état de cause, notre arrestation n’a nullement été une surprise,- comme le disait si bien feu Maâtoub Lounès, « mon chemin vers la tombe je le connais et je ne m’y détournerai jamais »-, non pas parce que nous avons commis un quelconque délit, mais parce que le Makhzen arabiste et raciste a toujours considéré que le dialogue est une conspiration et la pensée une rébellion. Toute personne ou toute organisation qui ne provient pas de son sein est considérée illico presto comme un adversaire ou même un ennemi ne méritant qu’une chose : la répression tous azimuts. Telle est son attitude vis-à-vis de nous, les militants du mouvement culturel amazigh ( MCA), connus depuis toujours pour leur liberté et leur indépendance de pensée. Au Maroc, le rôle des forces de l’ordre et de toute l’institution militaire est de protéger l’Etat, et comme l’explique si bien une fois de plus le défunt Maâtoub , « il y a une grande différence entre l’Etat et la patrie ». En fait, pour résumer les choses, leur raison d’exister est juste pour maintenir et protéger, coûte que coûte, les privilèges de l’oligarchie confortablement installée au pouvoir. Oufkir, l’un des sinistres sanguinaires qui ont mis les bases du système répressif makhzenien, ne se plaisait-il pas à répéter à qui veut l’entendre que le rôle des forces de l’ordre est de violer et transgresser allègrement la loi ! C’est vous dire…
Quelles sont vos peines et quelles sont les conditions de votre emprisonnement ?
Les deux jours de notre détention préventive dans le poste de police de Talborjt- un quartier d’Agadir- où la dignité humaine est une notion inconnue, nous n’avions pu ni manger ni même boire. Nous avions droit qu’à l’odeur pestilentielle des excréments humains, la puanteur suffocante des couvertures qui étaient là et les obscénités – et comment- qu’éructaient régulièrement les agents de la police présents dans ce haut lieu de répression. Ensuite, lors de notre procès nous avons été condamnés, El Masâoudi et moi, à deux mois de prison ferme et à une amende de 1000 dh chacun. Le militant Brahim Aït Ahmed, lui, a eu 6 mois de prison avec sursis. Après cela, nous avons été immédiatement emmenés, comme de vulgaires criminels, à la sinistre prison d’Inezgane, qui était, à titre de rappel, destinée, à sa construction en 1936 par le Protectorat français, à être une étable. Arrivés sur place, nous avons été immédiatement séparés et mis dans deux cellules différentes. Pour nous identifier, des numéros nous ont été donnés. Nos noms et prénoms n’ont plus aucune valeur. Désormais, notre identité est complètement gommée, effacée. Nous n’existons plus.
Quant à la cellule, il serait intéressant de vous la décrire un peu pour témoigner de ce que nous avons enduré. De fait, elle est subdivisée en quatre espaces : la cour principale, appelée étrangement le car, contient au bas mot 78 personnes alors que sa longueur est de 5m et sa largeur est de 3m et quatre petites chambres qui font 3m2, occupées d’ailleurs par quelques privilégiés. Je vous laisse imaginer nos souffrances. Les premiers six jours, je dormais carrément - Nazih Berkan-, dans les toilettes. Pire, faute de place, je mettais carrément ma tête dans le lieu réservé à la poubelle. En tous les cas, il était impossible de dormir dans telles conditions. La surpopulation carcérale est insupportable. Il faut savoir que la capacité de la prison est de 640 personnes alors qu’il y en a environ 2000 individus. Ainsi, un petit espace de 20 cm2 peut valoir des milliers de dirhams. Au sein même de la prison, des mafias trouvent là un moyen facile pour fructifier leurs affaires.
Nous sommes donc restés dans telles conditions pendant un mois complet. Et pour rendre notre séjour encore plus difficile, nous n’avons pas eu droit aux visites et le comportement des gardiens à notre encontre a été extrêmement mauvais. Ce qui n’est pas vraiment étonnant, le Makhzen reste toujours le même partout. Au moment donc où il se gargarisait de l’utilisation pour le moins exagérée de vocables on ne peut plus pompeux donc forcément vides de sens du genre : transition démocratique, nouvelle ère, équité et réconciliation..., ses arrestations éminemment politiques viennent, une fois de plus, montrer au grand jour sa haine historiquement incommensurable qu’il voue à tout ce qui peut représenter de loin ou de près les Amazighs ou l’amazighité. D’ailleurs, le réquisitoire de l’avocat général à notre encontre va dans son sens. Selon lui, avec les idées « destructives » que nous portons, nous sommes ni plus ni moins que de dangereux individus qui menaceraient l’unité nationale. Rien que cela !
Mais quelles sont les vraies raisons de vos affrontements avec les militants du Polisario ?
Tout d’abord, il faut que j’explique une chose car il me semble qu’il y a une confusion entre les Sahraouis et les frontistes- les sympathisants du front Polisario. En réalité, nous sommes très fiers des étudiants sahraouis et inversement. Car ils sont amazighs exactement comme nous et ils habitent depuis la nuit des temps le Sahara amazigh. Notre conflit est avec les frontistes qui rêvent encore et toujours d’ériger une république « hilalienne » sur une terre amazighe. Comme vous le pouvez le voir, il y a eu une raison. Et je vous demande, cher ami, de relire le communiqué explicatif émis par le Mouvement cutlurel amazigh ( MCA) à l’occasion des violences qui ont sévi à l’université.
Le martyre de l’amazighité Maâtoub n’a-t-il pas dit qu’il y a « deux parties : les Amazighs et le Makhzen et il n’y a pas lieu d’être neutre. Ou bien c’est l’une ou bien c’est l’autre ». Les frontistes et les éléments qui les soutiennent sont donc des makhzeniens. L’un dépend s’il ne se nourrit de l’autre. Car ils ont la même idéologie : l’arabo-baâthisme. Conscient de la force conceptuelle des militants amazighs, le régime n’a pas hésité à lancer ses affidés (annahj sanguinaire) contre nous. C’était le cas le 20 avril 2007 à Taza où 10 jeunes militants amazighs ont été blessés. Fidèle à ses principes, le MCA a malgré tout gardé son sang froid. Mais malheureusement les provocations ont repris de plus belle. A Marrakech, tous les étudiants amazighs sont menacés de violence et même de liquidation physique s’ils osaient s’exprimer en tamazight. Et là il est à rappeler la position d’annahj – le programme provisoire 86- concernant l’amazighité. Dans une allusion plus que directe aux Amazighs il affirmait dans l’un de ses documents que «l’université n’est pas un bordel pour accueillir n’importe qui ».
A Agadir, les étudiants frontistes ont agressé trois militants du MCA à la faculté des sciences- l’un d’eux a eu le bras cassé et les deux autres ont eu des blessures graves aux visages- parce qu’ils ont refusé de les soutenir dans leurs manifestations anarchiques en raison de l’exclusion de quelques tricheurs frontistes aux examens. Malgré cela le MCA n’a pas réagi, car il croit fermement dans les bienfaits du dialogue. D’ailleurs, en 1999 déjà, il a été le premier mouvement estudiantin à lancer un appel pour une charte d’honneur contre la violence à l’université. Toujours est-il qu’il a appelé les étudiants frontistes à un débat pour mettre les choses au clair, mais en vain. Pire, leurs provocations ont repris de nouveau: le piétinement du drapeau amazigh, la déchirure des posters des martyres amazighs... Là la situation a atteint le seuil de l’intolérable. Le peuple amazigh peut tout pardonner sauf lorsqu’on foule avec les pieds son honneur et sa fierté. La suite vous la connaissez.
Avec ces histoires de violences, ne pensez-vous pas qu'on vous a tendu un piège pour montrer sous un mauvais jour les Amazighs et leur mouvement revendicatif ?
Le Makhzen a toujours comploté contre le peuple amazigh pour salir son image et sa réputation. Il n’est donc pas étonnant qu’il fasse de même avec le mouvement culturel amazigh (MCA), mais ce qui est vraiment malheureux c’est que certains Amazighs tombent dans le piège dressé par le régime. Après ma sortie de prison, j’ai rassemblé tous les articles qui ont évoqué les événements regrettables de l’université, mais j’ai été extrêmement déçu par l’attitude de certains soi disant militants amazighs qui ont accusé le MCA d’avoir porté atteinte à l’image de notre combat pacifique.
Permettez-moi de poser cette question à l’un d’eux, plus exactement celui qui affirmait qu’il n’y a plus de liens entre eux et nous, pourquoi a-t-il pris comme source d’information les journaux antinationaux, qui n’ont jamais cessé de traîner dans la fange de l’opprobre les Amazighs et l’amazighité, pourquoi n’est-il pas venu nous voir pour s’enquérir lui-même de la situation ? Mais quelle contradiction ! Nous lui disons que nous sommes d’une région connue par sa lutte anticoloniale et que nous ne sommes pas prêts de laisser tomber notre combat pour protéger notre histoire, qui n’a connu autant de trahisons que maintenant, et pour renforcer notre structure estudiantine, le mouvement culturel amazigh.
Que cette personne sache que, à nos yeux, elle est devenue, ni plus ni moins, que le porte-voix du Makhzen. Si c’était prémédité, c’est grave ; mais si c’était réfléchi, c’était carrément gravissime. Si, selon lui, la formation, la pensée stratégique et le dialogue veulent dire l’allégeance artificielle, les concessions continuelles, l’acceptation simple de notre amère réalité, nous lui laissons tout cela. Nous préférons faire les nôtres les idées qui, selon lui, ne servent pas la cause amazighe. En tous les cas, un jour ou l’autre, l’histoire tranchera certainement et dira qui a raison.
Pour conclure, nous vous remercions l’intervieweur pour nous avoir donné la possibilité de nous exprimer et nous vous assurons que demain, nous allons donner des leçons sur le radicalisme et sur le sens réel de la révolution. Même si le Makhzen est bien décidé à casser le mouvement culturel amazigh et la coordination d’Aït Ghighuch, dont les actions militantes dérangent au plus haut point. Une petite visite aux détenus politiques amazighs à Imtghern, Agadir – ont été libérés depuis- et Meknès vous suffira.
Par Lahsen Oulhadj