Tamaynut-Maroc: Premier album dédiées à l'enfant ou "la chanson au service de l'apprentissage de Tamazight"
L'organisation Tamaynut – section d'Inezgane – vient de publier le 1er mars 2007 un premier album de chansons amazighes dédiées à l'enfant. Fruit d’un travail de longue halène, cet album a vu le jour grâce au soutien et au financement du bureau national de Tamaynut. Il concrétise l'un des objectifs du plan d'action 2006 adopté lors d’une réunion du conseil national tenue à Tarrast. Cet événement nous interroge sur la place de l'enfant dans les programmes et les actions des associations amazighes. La section d'Inezgane de Tamaynut pourrait être précurseur d’un nouveau champ d’action qu’un grand nombre d’associations culturelles sont appelées à investir.
1. La chanson au service de l'apprentissage de l'amazighe.
Après les premiers pas qui ont vu Tamazight intégrée dans le système éducatif marocain, il est bon de s'interroger sur le rôle que peut jouer la chanson amazighe au profit de l'enseignement de cette langue.
L'expérience de Tamaynut-Inezgane révèle que la chanson peut être un outil d'apprentissage non seulement pour les enfants mais aussi pour les adultes désireux d’apprendre cette langue. Avec un vocabulaire simple, des vers bien construits et la métrique qui la caractérise, sans oublier la mélodie qui l'accompagne, la chanson apparaît comme l'un des meilleurs outils d'apprentissage. En chantant, l'enfant s'amuse et trouve un plaisir énorme. En même temps et sans faire recours au professeur, il acquiert des connaissances et apprend du lexique. Aussi il intériorise des règles de la grammaire et de conjugaison. La mélodie aide quant à elle à faciliter la prononciation et à mieux se souvenir des mots.
Parmi les membres de la chorale de Tamaynut-Inezgane, on trouve aujourd’hui des enfants arabophones issus des familles qui ne parlent pas tamazight. Grâce à la chanson, ils ne trouvent aucune difficulté à prononcer les labio-vélaires, à montrer les emphases ou marquer la tension. Cette expérience importante a conduit les responsables des écoles situées à Tarrasa à inviter les cadres de l'association pour qu’ils animent des matinées consacrées aux enfants et qu’ils présentent des exemples de cours destinés à l'enseignement de Tamazight pour les enfants.
Ce premier album est composé de 11 poèmes écrits dans la majorité par Abdallah Mezig. Influencé par le style d'Ahwach de la région de Bani (TaTa-Sud du Maroc) dont il est originaire, ce jeune poète a réussi à produire un répertoire important de chansons amazighes consacrées à l'enfant. Avec un lexique simple, abordable et courant dans l'ère tachelhit, il compose des poèmes simples et faciles à comprendre et retenir. Les thématiques abordées montrent qu’A.Mezzik n'a pas oublié le rôle éducatif qu’il entend jouer. Il a choisi des sujets bien précis dont l'objectif est de semer des graines pour faire les bons citoyens de demain. Le poème intitulé "Ajddig" (Fleur), tend par exemple à sensibiliser l'enfant à l'environnement. Il l'invite à prendre soin des fleurs et à les protéger contre toute menace. Le poème "Azzan d ma-s" (l’enfant et sa mère), est un appel à un amour entre frères et sœurs. Après avoir déclaré que le nouveau né porte un prénom amazigh "Yuf itri", il lui souhaite une longue vie pleine de bonheur. Le printemps, comme saison de la verdure a été traité dans des poèmes comme « Tafsut ou smaql-at tagut ! » avec beaucoup de créativité poétique. D'autres sujets tels l'amour, la paix ou la fraternité sont également traités dans cet album qui figure déjà comme la référence fondatrice d’un champ musical qui ne fait que s’ouvrir.
2. Tamaynut et le domaine de l'enfant
Aperçu sur les années 1990 : Les moments fondateurs.
Tamaynut-Maroc Premier album de chansons amazighes dédiées à l'enfant
La sortie de cet album concrétise un vieux rêve qui habitait les militants de cette section depuis longtemps. Trois ans après sa création le 16 octobre 1993, Tamaynut-Inezgane s’est investi déjà dans le domaine de l’enfant. Cet album donc est le fruit d'un travail de plus de dix ans marqué par la patience, l'enthousiasme, l'ambition, la créativité et la volonté d’une poignée de militants ayant à cœur d'investir un champ qui était perçu jusque là comme inaccessible et réservé aux seules associations de tendance panarabiste.
L’album qui a été conçu de toute pièce par les militants apparaît comme une contribution importante à la promotion de la culture amazighe. L’absence d’écrivains et de compositeurs spécialisés dans la chanson amazighe pour enfant constituait un défi à relever. Mais, comme le dira un fondateur du mouvement amazigh au Maroc, "un certain moment, par ce qu'on est militant amazigh, on est obligés de faire tout, être écrivain, poète, romancier, peintre, conférencier... pour défendre l'amazigh". C'est donc dans cet esprit – et malgré le manque de toute formation dans le domaine – que les premiers militants de Tamaynut-Inezgane ont décidé d'investir le domaine de l'enfant. D’autres sections de la région d'Agadir, notamment celles de Tikiouin et de Dcheira, ne seront pas en reste. L'émergence de la troupe Imaynuten n Tikiouin avec la célèbre Fatima Oubari qui chante depuis un très jeune âge avec son père, l'expérience de la troupe Massinissa avec la chorale de Tamaynut-Dcheira et l'album de l'artiste Aguizoul avec ses deux fils ont également marqué cette période fondatrice.
A Inezgane, c’est à la Maison des associations Mohammed Mokhtar Soussi que les premières initiatives ont vu le jour. Des initiations pour apprendre Tifinnagh, l'alphabet amazigh, des jeux pour enfant et quelques chansons traduites de l'arabe composaient le programme hebdomadaire, le dimanche matin entre 10 heures et midi. Les animateurs n'étaient autres que les membres de l’association et quelques adhérents. La petite dizaine d’enfants était composée pour l’essentiel des enfants des animateurs eux-mêmes. Mais le manque d’animations récréatives rendait les matinées ennuyeuses pour les enfants. C’est dans ce contexte qu’émergèrent les premières chansons amazighes dédiées à l'enfant. Des poèmes comme "Arraw arraw" inspiré par Brahim Lasri amazigh de la chanson kabyle "Arrac n Imazighen "ou "Immi henna" de Bouyaakoubi Anir ainsi que "Turart n tlelli", l'hymne de Tamaynut, apparaissaient durant ces premières années comme le support propice à l’éveil d’un intérêt pour la culture amazighe chez l’enfant.
3. De la maison des jeunes d'Inezgane au local de Tarrast
Le tournant décisif et la naissance d'une nouvelle stratégie
Après quelques années d'activités démarrées en 1993, au sein de la Maison des jeunes d'Inezgane où la section a vu le jour, les dirigeants de l’association ont décidé de quitter cet établissement en 1998 pour venir s'installer à Tarrast, un grand quartier populaire situé dans la banlieue d'Inezgane. Ce choix s’est avéré décisif dans l'histoire de la section. Il marque le début d'une nouvelle stratégie associative. Le déménagement de l'association à Tarrast va donner immédiatement de l'ampleur aux activités conduites par l’association. Le fait de disposer d’un grand local bien équipé en plein cœur du quartier et financé essentiellement par les cotisations des adhérents a encouragé la section à diversifier et multiplier ses activités. Il est vrai aussi que les campagnes de sensibilisation pour la propreté du quartier, les visites médicales gratuites en faveur des habitants, le don du sang, l'organisation de Bilamawen (tradition ancestrale pratiquée lors de la fête du mouton), Lem3rouf ( rite organisé principalement par les femmes) ou Id n Innayer (nouvel an amazigh) ont contribué à donner un ancrage social à Tamaynut à Tarrast. Ce déménagement ne faisait que renforcer l'intérêt que porte l'association aux préoccupations locales.
L'enfant, bien évidement, vu la proximité du local à son domicile a été le premier bénéficiaire de ce changement. En plus des cours de soutien scolaire, il profite chaque dimanche matin d'un programme amazigh varié. Plus de 100 enfants assistent à cette activité hebdomadaire. Contrairement aux années 1990, l'association ne souffre plus de manque d'animateurs ou de poètes pour enfant. Les enfants d'hier sont devenus les dirigeants d'aujourd'hui. Ils profitent d'un répertoire important hérité de la génération précédente. L’activité a permis l’éclosion de nouveaux talents. Abdallah Mezzik, originaire de la région d'Adrar n Bani-Tata dont le nom s’apparente aux chansons amazighes pour enfants, et Hafid Ouchen, le musicien du quartier, titulaire d'un diplôme du conservatoire d'Agadir, reconnu pour ses mélodies, sont quelques unes des figures marquantes de ce nouveau genre musical.
Après de longues années de travail acharné, la section d'Inezgane de Tamaynut est aujourd’hui considérée comme leader dans le domaine de l'animation amazighe pour enfant. Elle a gagné plusieurs prix au niveau local et régional. Elle reçoit régulièrement l’invitation d’associations de la région qui cherchent à intégrer et développer l’expérience acquise dans le domaine. Si les premiers initiateurs n’avaient pour seul but que de produire un premier album de chansons amazighes destinées aux enfants, ce sont les enfants des années 1990, bénéficiaires des premières séances tenues à la maison des jeunes d'Inezgane qui ont réalisé ce rêve. Ce sont donc ceux qui ont réalisé les rêve de leurs aînés qui assurent aujourd'hui la relève. Un véritable travail de transmission a pu ainsi s’opérer.
Les paroles du premier album de chansons amazighes pour enfant publié pa Tamaynut Inezgane: Face A