Voici la suite de l’entretien que nous a accordé Anir Bouyaakoubi, étudiant-chercheur et militant marocain amazigh. Dans la première partie, Anir nous a expliqué que des groupes de pression poussent actuellement le gouvernement marocain à se désengager de l’enseignement du berbère. Il est également revenu sur l’évolution du mouvement amazigh, tout en précisant que l’Etat a tout fait pour empêcher ce mouvement de construire une force politique. Justement, dans cette seconde partie, nous allons revenir plus en détail sur l’interdiction d’un parti amazigh en avril dernier, sur les arrestations de militants survenues depuis 2007 et sur la difficulté à s’informer de l’actualité amazighe/
Rezki.net : La dissolution du PDAM s’inscrit donc dans un long processus visant à empêcher les Amazighs de se doter d’une force politique...
Anir Bouyakoubi : Je crois que oui. On entend parfois dire que le PDAM (Parti démocratique amazigh marocain) n’est pas compatible avec les lois interdisant les partis fondés sur des bases ethniques ou religieuses. Ce débat est juridique et très complexe. Il nous pousse à nous interroger sur le sens du terme « amazigh ». Renvoie-il à une ethnie ou à une race ? Personne ne peut le confirmer, au moment où la Constitution, elle-même définit le Maroc d’abord sur une base religieuse : « Le Maroc est un pays musulman », et sur une base « linguistique ou ethnique », en ajoutant le terme « arabe » au Grand Maghreb, « La Maroc fait parti du Grand Maghreb Arabe ».
Je pense plutôt que si la revendication dite culturelle est plus au moins tolérée, en revanche tout ce qui permet une organisation politique amazighe est mal vu et tout ce qui lie les revendications identitaires amazighes aux revendications sociales et économiques est interdit car il met le doigt sur le fond du problème, la rapport au politique. Et je crois que ce sont les étudiants du Mouvement culturel amazigh qui ont payé le prix de cette nouvelle vision.
Dans ce contexte, comment interpréter les affrontements qui ont eu lieu en 2007 dans plusieurs universités et l’arrestation de militants étudiants ?
Pour comprendre cela, il faut rappeler le cadre. Depuis la création de l’Institut royal de la culture amazighe (Ircam), le MCA (Mouvement culturel amazigh) a pris position contre ce qu’on peut appeler un « processus national de réhabilitation de l’amazighe ». Il y avait donc un processus où une grande partie des acteurs associatifs amazighs ont contribué, cela a donné lieu à la création de l’Ircam, dont la majorité des militants historiques connus siègent soit au sein du Conseil d’administration, soit dans les centres de recherche. Le MCA a beaucoup critiqué l’Ircam, sa position était claire, il s’opposait à ce processus. Il considère même que la création de l’Ircam est un moyen pour « domestiquer » le mouvement amazigh et d’absorber sa colère.
Depuis, le MCA est entré en conflit avec les autorités, avec des slogans très hostiles au pouvoir. Cela a continué jusqu’aux arrestations de plusieurs de ses membres étudiants en 2007. Pourquoi ces arrestations ? D’abord du fait que le MCA refuse le processus dont j’ai parlé. Ensuite parce que les militants du MCA ont lié les revendications linguistiques, culturelles et identitaires avec les questions politiques et sociales. Cela fait la force de ce mouvement : il encadre les populations dans leur région et gagne leur sympathie. Je pense que ce lien fait peur aux autorités, il inquiète également plusieurs composantes politiques qui veulent dissocier ces différents thèmes.
On a pu assister à des arrestations arbitraires. Quelles que soient les raisons évoquées, il s’agissait de frapper durement le MCA et tous les opposants au « processus national ».
En France, quand on s’intéresse à ces questions, on a très peu d’informations. D’une part, la presse nationale marocaine ne se fait pas l’écho de cette actualité. D’autre part les sites amazighs eux-mêmes ne donnent pas beaucoup d’informations. On a appris que le PDAM était dissout, mais sans plus de détails. Existe-t-il d’autres sources ?
C’est exact, il y a plusieurs obstacles. En général, les informations qui proviennent du Maroc nous arrivent en langue arabe. C’est la langue de l’écrit et de ce fait, les francophones qui ne la pratiquent pas n’ont pas accès à ce type d’informations.
Par ailleurs, la presse nationale est généralement amazighophobe. Elle parle de l’interdiction du PDAM, non pas pour donner l’info, mais dans le but de critiquer le mouvement amazigh. Troisième point, il n’existe pas de presse amazighe forte. Pour obtenir une information, il faut disposer d’un réseau, de contacts sur place et passer des coups de fil. Ces trois obstacles empêchent les gens de l’extérieur de savoir ce qui se passe réellement.
Quels sont la sources en arabe dont tu parles ?
Il existe des journaux électroniques comme Tamazghapresse mais aussi Tawalt dont la version arabophone est plus riche.
En France, si on compare les Berbères marocains aux Kabyles, il existe moins de sites en français côté marocain. A quoi cela est-il dû ?
Il y a quand même beaucoup de sites : Amazighnews.net, Tamaynutfrance.org, Asays.com, Souss.com, Amazighworld.org, Mondeberbere.com, sans oublier les sites associatifs francophones créés au Maroc comme Tamaynut.org ou Azetta et aussi le site du journal Tawiza ... Après, c’est tout un travail pour relayer l’information. Tout ceci est fait bénévolement. Après, comme je l’ai dit, la langue écrite au Maroc est l’arabe, sauf chez les élites francophones.
La semaine passée [L’entretien a eu lieu au mois de mai NDLR], tu t’es rendu en Belgique, au Parlement fédéral. Dans quel cadre ?
J’ai répondu à l’invitation d’une association bruxelloise pour participer, au nom de l’organisation Tamaynut à une rencontre de deux jours sur les droits de l’Homme au Maroc. Ils ont aussi invité Abdelhamid Amin, vice-président de l’Association marocaine des droits de l’Homme AMDH. En ce qui me concerne, je venais parler de la situation des droits Amazighs. Nous avons eu des rencontres avec des parlementaires belges. On a pu évoquer les arrestations des militants amazighs de Boumal n Dades, la dissolution du PDAM et les revendications amazighes qui n’arrivent pas toujours à être réalisées, tandis que A. Amin a présenté la situation générale des droits de l’Homme au Maroc. Est-ce que ces parlementaires connaissaient la question amazighe ? Ils ne la connaissent pas à proprement parler, sauf ceux d’origine marocaine, mais ils en ont entendu quelques éléments par bribes. Ils ont posé beaucoup de questions sur les arrestations et la dissolution du PDAM.
Est-ce que les associations des droits de l’Homme marocaines relayent les problèmes rencontrés par les militants amazighs ?
Je ne peux pas répondre dans le détail. Je crois qu’elles ont pris position contre les arrestations, mais j’ignore si elles ont continué à suivre le dossier jusqu’à la fin. Il faut aussi savoir qu’historiquement, les organisations des droits de l’Homme au Maroc sont dominées par des panarabistes. Les premiers militants amazighs qui y sont adhérés avaient du mal à les convaincre de la légitimité des droits amazigh même du point de vue juridique. Je Crois que leur problème c’est qu’ils sont avant tous panarabistes avant d’être militants des droits de l’Homme. De ce fait, ils mettent d’abord en avant leur appartenance idéologique.
Lors des législatives marocaines de 2007, le Mouvement populaire (MP) est arrivé en bonne position, c’est un parti réputé « berbère ». Quel pouvoir a-t-il pour faire avancer les choses ?
D’abord, il ne faut pas oublier que réellement aucun parti n’est arrivé en bonne position tous simplement par ce que le taux de participation était très faible. Pour le MP, c’est vrais il est réputé comme parti amazigh, mais pendant des années il participait aux gouvernement et occupait des postes mais il n’a rien fait pour l’amazighe. Je parle de décisions officielles au sein du gouvernement et non de déclarations en faveur de l’amazighe exprimées, de temps à l’autre, par Ahrdan.
Par Rezki
Source: http://www.rezki.net